Quand l'immobilier, va tout va !

Crédits:
textes par
Catégorie Les paradoxales



Philippe Buerch, notaire à Cannes livre son analyse : 

« Personne ne peut aujourd'hui prédire l’ampleur du choc immobilier, car à l’instar de l’ensemble de notre économie, son impact dépendra de la durée de la pandémie. »


Nous vivons une crise sanitaire dont les dommages sur les différents secteurs d’activité sont en l’état « collatéraux », et non « structurels » : les effets se renforceront au fur à mesure du prolongement de l’état d’urgence sanitaire, mais aujourd’hui, personne ne peut anticiper la réalité du préjudice à venir.

Une chose est cependant certaine : si l'immobilier vient d’accuser un choc ponctuel sous l’effet du confinement, l’effondrement paraît impossible : se loger est un besoin fondamental, comme l’est celui de s’alimenter. La pierre, quelle que soit sa nature (résidence principale ou pur investissement de rentabilité ou de plaisir) restera pour toujours une valeur sûre et de refuge, plus tangible même que l’or soumis aux aléas de la variabilité du dollar. Aucun argument ne permet d’affirmer le contraire. Ce constat s’est toujours avéré exact au cours des crises économiques précédentes.

Toutefois, aussi vital soit le besoin d’acquérir un logement, cette constante volerait en éclat si un chômage de masse affectait notre économie, entraînant alors une récession dont les effets sur le marché immobilier pourraient durer plusieurs années, notamment et principalement le marché des primo accédants. 

Mais l’immobilier a pour lui d’avoir souvent un temps d’avance sur un monde subitement condamné à l’inertie. C’est un secteur qui depuis des années déjà s’est organisé pour compenser les distances géographiques entre vendeurs et acquéreurs, par le biais de visites virtuelles, de plate-formes numériques d’offres et de demandes, mais aussi par des effectifs souvent composés d’indépendants autonomes dont l’activité est déjà basée sur le télétravail.

Il n’y a pas un bouleversement radical dans la méthode, mais l’occasion d’optimiser ces process en « innovant dans la contrainte ». De nombreux professionnels s’y attellent dès à présent, en attendant de pouvoir transformer la phase virtuelle en promesse d’achat. Cette amélioration des outils de prospection pourrait répondre à une demande inespérée. En effet, le confinement a naturellement renforcé le désir des citadins d’investir dans l’immobilier de campagne (rural). Une réelle dynamique de recherche vient de s’opérer entre besoin d’espace, d’extérieurs, de calme et plaisir de profiter auprès des siens de la qualité et de la chaleur de son intérieur, de son « chez soi » (sweet home).

Cette perspective pourrait booster le marché des maisons individuelles, et particulièrement celui des propriétés d’exception, plus généralement de l’immobilier haut de gamme, de la revente et de la location d’appartements, sclérosée par le peu de biens sur le marché. Déjà amorcée, la tendance vers une vision d’un immobilier alliant plaisir et nécessité, s’est trouvée renforcée aujourd'hui par le confinement et le télé-travail. Les Français ont besoin de repenser leur espace de vie, mais aussi leur rapport présentiel dans le cadre de leur activité professionnelle. L’immobilier des territoires offrant une indéniable qualité de vie pourrait être privilégié.

Cette décentralisation de l’offre entraînerait également une dynamique dans les grandes agglomérations devenant ainsi des zones moins tendues. La location, l’achat et les projets de construction pourraient en recueillir les bénéfices. Seule difficulté, les capacités d’emprunt des primo-accédants pourraient être fortement éprouvées si les banques cherchaient à préserver leur trésorerie et à compenser le risque futur, en augmentant leur taux de marge alors même que la Banque Européenne maintiendrait une politique de taux proches de zéro. Les gouvernements devront veiller à ce que les banques se comportent de manière raisonnable et ne cherchent pas des profils toujours plus sécurisés pour leur consentir des emprunts.




L’ampleur de la déflagration actuelle et à venir qui fait suite à la crise unique et sans précédent que nous traversons est sans nul doute le risque le plus important pour le secteur immobilier. La crise actuelle va probablement susciter une hésitation des acquéreurs et vendeurs immobiliers, dans l’attente d’un réajustement possible des prix. Un réajustement dont on peut anticiper une diminution de 5 à 15 % dans les zones les moins tendues, et les moins recherchées (mais probablement pas davantage) pourrait entraîner temporairement une stagnation momentanée du marché, jusqu’au prochain printemps. Face à la récession annoncée par nos acteurs politiques, l’achat compulsif va naturellement s’effacer et laisser sa place à un achat réfléchi et raisonné. Les notaires auront évidemment un rôle déterminant à jouer pour rassurer les clients, dans un marché toussotant. Les acquéreurs devront être encouragés à investir dans la pierre et nos gouvernants devront déployer un plan d’importance pour maintenir cette confiance naturelle dans un marché bousculé.

Même si les taux d’emprunt subissent une légère hausse, emprunter pour investir sera toujours plus intéressant que loger son argent sur un contrait d’assurance-vie en euro qui ne dégage désormais qu’un intérêt mineur. L’immobilier de rapport, lui aussi, ne sera pas ou peu exposé à un risque d’effondrement brutal de ce segment de marché.

Davantage de souplesse dans un contexte crispé semble nécessaire, avec la mise en place de véritables leviers, tels les prêts à taux zéro qui pourraient être proposés jusqu’à 150 000 €, une fiscalité plus attractive, alliant réduction des droits de mutation, et plafond de la fiscalité des revenus fonciers, ou encore, la possibilité de déduire les intérêts d’emprunt sans plafond pour toute acquisition de résidence principale. Les plus-values, temporairement, pourraient aussi être exonérées après plus de 15 ans de détention et non 30 ans comme aujourd’hui. La palette des mesures est large et nos gouvernants doivent faire preuve d’imagination pour éviter que le marché passe de la morosité confinée à la complexité structurelle.

Dès lors, la reprise graduelle doit non seulement s’accompagner de ces différentes mesures possibles, mais aussi revoir certaines décisions prises, en matière de report des délais administratifs. Bien que ces décisions ont été pensées avec bienveillance pour protéger les transactions, les conséquences de ces délais rallongés sont de telle ampleur qu’il y a lieu impérativement de les rectifier, si l’on veut éviter de stopper brutalement la fluidité du marché, sauver des emplois et contribuer à rassurer ce secteur d’activité.

De la même manière, le report des élections municipales génère logiquement une raréfaction des délivrances de permis de construire. Chacun doit s’accorder à comprendre que ces suspensions et reports multiples, mettent à mal toute la branche immobilière qui forme un bloc élargi face à cette crise sans précédent. De l’efficacité de ce dispositif de soutien et de relance dépend non seulement la bonne santé de l’immobilier, mais aussi la stabilité des marchés qui en dépendent et plus largement l’économie, tant il est toujours plus vrai que « quand l’immobilier va, tout va ! ». 

Pour maintenir une stabilité des prix, dans une large mesure, l’inertie serait le pire des remèdes, avec les conséquences que l’on connaît.

Me Philippe Buerch