Charlie a 50 ans…
Le magazine satirique fait quasiment partie de nos institutions et, indubitablement, de notre mémoire collective. Les terroristes islamistes l’avaient bien compris qui ont voulu l’abattre. Pour le dessinateur Kristian, c’est plus encore. Il témoigne :
« Naît de la censure, suite à la fameuse couverture de Hara-Kiri au lendemain de la mort du Général De Gaule : Bal tragique à Colombey, 1 mort, l’hebdo a, pour bon nombre d’entre nous, éveillé notre esprit critique tout au long de notre adolescence et continuer en nous bousculant parfois, à nous montrer un monde sans fard, avec irrévérence, impertinence et humour.
Rien ne peut ni ne doit limiter cette liberté d’expression. La nôtre, dessinateurs, journalistes, artistes, comme celle de tout en chacun, toutes origines, idées politiques et convictions religieuses confondues. Est-il encore utile (sans aucun doute oui) de répéter aux bas du front, que c’est un des piliers de notre république, de notre culture, que beaucoup de gens ont donné leur vie pour cette cause et que surtout, liberté d’expression ne signifie pas liberté de tout dire, de tout faire. Elle a, évidemment, toujours été encadrée par les lois du pays. Beaucoup d’entre nous (dessinateurs) le savent pour s’être retrouvé un jour au tribunal.
Enfant, lorsque je gribouillais en regardant vos dessins, je n’aurai pas cru, qu’un peu plus tard, nous deviendrions amis. Merci Cabu et Wolinsky pour nous avoir appris à rire des racistes de tous poils. Quelle ironie qu’avec Tignous, l’adorable et talentueux ami Tignous, ainsi que d’autres membres de la rédaction, vous soyez tombés sous les balles d’intégristes incapables de comprendre leur propre religion. Incapable de comprendre tout le mal qu’ils infligeaient au reste de la communauté musulmane. Les jeunes ados, victimes de l’attentat du 14 juillet à Nice, et dont je m’occupe lors d’ateliers d’art thérapie le savent bien. Eux qui sont à 80% musulmans. Incroyable non ? Voilà de quoi bousculer bien de fausses certitudes. Doublement victimes. Victimes du terroriste assassin au camion fou, et victimes du qu’en-dira-t-on parce que musulmans. L’ amalgame est si facile à faire pour les fainéants du cerveau. Merci à tous ceux qui continuent ce travail avec courage. Aujourd’hui lorsque nous nous déplaçons, pour parler à tous de ce qu’est notre métier, du partage des idées et des cultures, du vivre ensemble dans ce qu’on appelle "les quartiers difficiles", où en prison avec "Cartooning for Peace", pour évoquer aussi l’importance de ne jamais rien lâcher de cette fameuse liberté de parole, notre bien, notre trésor commun, il arrive que nous soyons protégés. Comme le week-end dernier au Salon International du dessin de Presse de Saint-Just-le-Martel ou un bon nombre de gendarmes et de CRS assuraient notre sécurité. Nous en sommes arrivés là !
Les échanges avec les forces de l’ordre étaient d’ailleurs touchants et forts. C’était chouette. De bons moments, de beaux échanges. De l’humain. Ils sont les garants de l’application de nos lois et du coup de nos libertés. Ce qui ne nous empêchera pas de continuer à les caricaturer. Il est important de continuer. Sans provocations, malgré ce que peuvent penser quelques personnes ne voyant pas plus loin que le bout de leur zone de confort. Ou alors en provoquant si c’est pour permettre l’ouverture d’un débat. Tout comme il est important de caricaturer et de parler de tous sujets. L’avant-dernière couverture de Charlie, "Tout ça pour ça !" reprenait les caricatures danoises qui ont mis le feu aux poudres en 2005. Nous étions d’ailleurs presque tous d’accord dans la profession, ces dessins n’étaient pas très bons et le message véhiculé laissait libre cours à quelques interprétations douteuses… Pour autant , il n’était pas possible de les censurer sans donner raison aux limitateurs de libertés, qui de toutes façons en demanderont toujours plus. Il faut également rappeler que ces caricatures ont été reprises par bon nombre de journaux à travers le monde, puis par différents quotidiens français à commencer France Soir, Libération, un peu plus tard encore par Charlie Hebdo. Hier, alors qu’un passant mou du bide m’interpellait dans la rue, voulant rouvrir l’éternel débat "il ne faut pas jeter de l’huile sur le feu", je repensais à mes amis disparus, à leurs enfants que je connais, à Maryse Wolinsky et Chloé (épouse de Tignous), à leur peine incommensurable, à leur courage et à celui de toute la rédaction. Bon anniversaire Charlie et aux défenseurs des libertés de penser de part le monde ! »