« Les Polarophiles Tranquilles » mènent l’enquête à propos de

James Hadley Chase et Graham Greene.

Cette association cannoise forte de plus de 200 membres passionnés par le roman policier, publie un bulletin bisannuel, gratuit, libre et... indépendant qui traite de questions passionnantes à propos de ce genre littéraire. Depuis dix ans, elle met avant les classiques, trop souvent négligés, voire éreintés par la critique littéraire et ignorés par les universitaire. Ils font l’objet d’un oubli immérité de la part du grand public et ce malgré la vogue actuelle du Polar. Les membres de l'association sont aussi capables de jouer au détective... C'est ce qu'on lira ci-dessous.



- « Le Troisième homme », Grand Prix du Festival de Cannes
en 1949, scénario de Graham Green, est considéré comme
un des meilleurs films noirs. Orson Wells y est magistral -


Le président des Polarophiles Tranquilles, Thierry Cazon, s’étend avec plaisir sur le sujet et dévoile les résultats d’une enquête improbable qui donne à penser qu’un auteur peut en cacher un autre :

« Notre association a pour centre d’intérêt de revisiter les auteurs importants au-delà des modes, avec le recul suffisant pour éviter les poncifs journalistiques et les mécanismes pervers de l’actualité. Nos enquêtes aboutissent parfois à des découvertes surprenantes qui  dérangent la quiétude du monde littéraire. Ainsi comment un auteur classé catholique et nobélisable aurait-il pu écrire les quatre-vingt-neuf romans policiers inoubliables et brutaux signés James Hadley Chase (1906-1985) ?

Avec Hadley Chase, il n'y aucun doute, nous avons affaire à l’écrivain de Polar le plus doué de sa génération : 89 romans dont 56 publiés dans la Série Noire, traduit en 32 langues, assurant un succès mondial ininterrompu, 35 adaptations cinématographiques, une dizaine de téléfilms, des tirages fabuleux et un titre vedette « Pas d’orchidées pour Miss Blandish » qui a largement dépassé les quinze millions d’exemplaires : c’est l’origine d’une œuvre cohérente dans sa diversité et son originalité. On y trouve une description froide d’un monde brutal tel qu’il existe…

Quant à celui qui signe ses œuvres Graham Greene, on trouve chez lui le même regard perspicace et cruel sur l’humanité, même si la façon de la décrire est sensiblement plus littéraire, cette caractéristique seule a permis aux deux lectorats de ne pas se rencontrer et à la proximité des deux œuvres de passer inaperçue.

Cette probable identité entre les deux auteurs avait déjà été évoquée, en particulier par Robert Deleuse dans son essai À la poursuite de James Hadley Chase (Presses de la Renaissance, Les Essais, 1992). Celui-ci pose le problème sans oser affirmer ouvertement sa conviction.

L’intérêt supplémentaire de l’enquête menée par les Polarophiles est qu’ils prouvent ce qu’ils avancent, avec toute une série d’arguments difficiles à récuser : mêmes prénoms inhabituels dans les deux univers, scènes identiques, petits détails révélateurs, mais surtout, argument incontournable, « ambiance » identique des deux mondes romanesques. Si le reste se maquille ou s’emprunte relativement facilement, les éléments profonds qui structurent une pensée, qui ordonnent une vision du monde signent l’auteur unique, quelque soin qu’on prenne à vouloir le faire oublier par un style plus explicite, adapté à un lectorat plus large.

Notre enquête méticuleuse, prenant en compte tous les éléments épars dans les différentes biographies et dans les articles livrés au public ainsi que notre connaissance approfondie des écrits de l’auteur, s’est focalisée sur les non-dits, cherchant ce que l’auteur dissimule avec tant d’autorité, recoupant les détails dissonants et révélateurs. Elle nous a permis d’aboutir à cette conclusion stupéfiante : notre célébrissime auteur est également l’auteur qui, bien dissimulé, a produit une œuvre d’importance comparable, utilisant un prête-nom qui finit par devenir aussi célèbre que lui : Je parle de James Hadley Chase (1906-1985).

Un de ces détails, erreur de jeunesse de cette mystification balbutiante, est l’emploi comme pseudonyme pour l’homme de paille débutant du nom de Chase ; c’est le nom du personnage principal de son troisième roman Rumour at Nightfall (1931), roman non traduit en français et non réimprimé en Grande-Bretagne à la demande spéciale de Graham Greene.

Chase et Greene proposent chacun dans leur œuvre - pour entretenir la fiction qu’il s’agit de deux auteurs distincts - une vision de l’existence considérée comme un traquenard. C’est dans ce piège  subtilement tendu - que les Polarophiles les ont fait tomber. Docteur Greene et Mr Chase ne sont qu’un seul et même auteur.

Parlons maintenant de Graham Greene (1904 – 1991). Notre auteur avait l’expérience des services secrets et des services de propagande, il avait un temps été le secrétaire de Kim Philby, chef du célèbre Intelligence Service britannique en même temps qu’un des agents les plus efficaces des services d’espionnage soviétiques.

Graham Greene installé à Antibes avait également osé défier Jacques Médecin à l’apogée de son pouvoir. Il a dénoncé les méthodes douteuses utilisées sous son autorité dans un pamphlet bilingue intitulé J’accuse qui, bien que retiré de la vente à la suite d’un jugement d’interdiction, contribua néanmoins à ternir l’image du premier magistrat de Nice.

Graham Greene nous avait fait l’honneur de choisir Antibes dont il était devenu l’une des gloires, pour écrire et vivre sur la Côte d’Azur. Soyons honnête, il avait surtout choisi la compagnie d’Yvonne Cloeta avec qui il a eu une liaison qui dura 32 ans.

Nous, les Français, fûmes terriblement flattés de l’accueillir quand il quitta l’Angleterre pour résider en France. C’était une sorte de pied de nez aux britanniques, nous ne cherchâmes pas les raisons de cet exil, nous en vînmes à considérer Graham Greene comme l’un des nôtres d’ailleurs ses affaires de cœur compliquées le rattachaient plus au tempérament français qu’à la supposée froideur britannique. À Antibes, portant un regard amusé sur son environnement proche il écrivit : « Pouvez-vous nous prêter votre mari ? et autres scènes de la vie sexuelle ».

Il saisissait les opportunités locales qui passaient à sa portée. Voici une anecdote qui montre son gout pour la mystification : Pendant le tournage de La nuit américaine, François Truffaut cherchait un figurant pour incarner un petit rôle de représentant en assurance anglais mais parlant français, un technicien du film en parla devant Graham Greene au restaurant. Celui-ci saisit l’occasion au vol pensant pouvoir faire l’affaire. Graham Greene est ainsi présenté à Truffaut sous le nom de Mr Brown lors d’une rencontre fortuite au studio de la Victorine. Convoqué pour un bout d’essai, Truffaut fût très satisfait de sa performance : C’est lui que l’on voit dans le film... C’est lui que nous avons pris plaisir à démasquer. »

L’intégralité de cette enquête publiée sous forme d’un dialogue entre les protagonistes est disponible au siège de l’association, 86 avenue de Grasse, 06400 Cannes – tel. 04 93 38 20 69 - 11,50 € + port. On pourra également rencontrer les Polarophiles sur leur stand lors du prochain Salon du livre de Mouans-Sartoux qui se tiendra du 4 au 6 octobre prochain.