La souffrance au travail : épanouir le système !
Marc Versini, enseignant à l’Idrac de Lyon, coauteur d'un manuel sur les relations professionnelles et auteur dramatique, nous livre ici son analyse.
Le travail est une valeur relative… pour André Comte-Sponville. Il n’est d’ailleurs pas une valeur du tout puisqu’il n’est pas une fin en soi mais un « moyen ». En d’autres temps, d’autres civilisations, le mot même n’existait pas, non que « l’activité » elle-même soit absente mais surtout : il n’était pas comme aujourd’hui l’élément absolu de la structuration sociale, identitaire de l’individu.
Aujourd’hui, le travail est au centre de notre vie, nous sommes joignables 24h/24h partout, à n’importe quel moment. Nous pouvons allègrement continuer notre journée de travail grâce aux prodiges d’Internet, répondre à nos mails professionnels le week-end… Heureusement que les frontières entre sphère privée et sphère publique s’effacent progressivement ! Le temps disponible pour nous restaurer entre « midi et deux » devenu « entre midi et une » sera-t-il bientôt « entre midi et midi et demie ? »… Quoi qu’il en soit, les nouveaux modes ultra-rapides de restauration standard nous permettent une alimentation express sans perte de temps.
Et puis… souvenez-vous « les années Tapie », les winners bodybuildés ! Les meilleurs aux dents longues, pas de place pour les faibles : ceux qui voudraient faire la différence entre vie familiale ou privée et l’entreprise, le marché, la production ! C’est la guerre ! Marche ou crève ! À chaque année sa mode ou son concept issu de l’inspiration japonaise ou américaine… chez eux ça marche ! On n’a pas le choix !
Marche ou crève. Certains ont choisit la deuxième solution. D’où des questions. D’où des réponses.
Une première réponse : Parler de la souffrance au travail (et pas seulement pour la bonne conscience de l’entreprise) évoquer les risques psychosociaux lors de séminaires et de conférences (sans en faire un marketing), la reconnaître comme un mal « moderne », dénoncer le « management par la terreur », les cours d’écoles que sont devenues certaines entreprises, la réification de l’individu au nom d’une sacro-sainte « production » qui s’immisce partout (alors que nous produisons de moins en moins de biens matériels en Occident !) et de la « pression » qui s’en suit. Au delà du système capitaliste financier, pointer du doigt les responsabilités : la décision de la Cour d’appel de Versailles condamnant un constructeur automobile pour « faute inexcusable » suite au suicide d’un de ses salariés, risque de faire jurisprudence. Doit-on mourir de vouloir travailler ?
Une seconde réponse : plus subtile celle-là et qui risque de prendre de cours les « séniors » au pouvoir, ceux qui sont à l’origine du système ou qui en jouent le jeu : les jeunes générations qui arrivent, elles, risquent de ne plus jouer du tout. La génération Y ne semble pas du tout encline à se « tuer au travail », à la fois très individualiste et très communautariste, elle se tourne avant tout vers son bien-être et son environnement personnel, génération d’échange (pour le meilleur et pour le pire) via les nouvelles technologies, l’autorité n’a pour elle qu’une valeur relative… tout comme le travail qui pour elle redevient ce qu’il est : un simple moyen.
À l’origine de la souffrance ? Un facteur exogène : le système, un facteur endogène : les hommes. Jusqu’à présent le système a broyé les hommes alors qu’il était censé les épanouir… il est temps aujourd’hui que les hommes, qui eux seuls sont la réalité du travail, se mettent à épanouir le système ! C’est au prix de cette indispensable mutation que le travail, l’individu et la société, reprendront tout leur sens.
Marc Versini