Dans l’arrière pays grassois et antibois : Courmes, lieu de balades et d’inspiration...

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Ce petit village tranquille des Alpes-Maritimes ne compte guère que 97 habitants sur les registres de la mairie mais nombre de promeneurs du dimanche le connaissent. Pour les randonneurs, c’est un camp de base vers le pic de Courmettes et le plateau de Saint Barnabé ou, en poussant plus loin, vers Coursegoules. Un passage aussi pour ceux qui fréquentent le GR51. Pour Jocelyne Mas, c’est un lieu propice à la méditation, au ressourcement. Voici un bref extrait tiré de son livre « De la Côte Turquoise à la Côte d'Azur ».

« La maison de Nohant fut pour Georges Sand, son lieu de prédilection. Elle y a été si heureuse, à regarder l’herbe pousser, à écouter les sonates de Frédéric Chopin, à pleurer d’émotion en entendant les Nocturnes ou la Sonate en si bémol mineur. Elle a été si heureuse de voir gambader ses enfants, de recevoir ses amis et d’aimer son Frédéric. De même, la maison de Courmes est, pour moi, un refuge.

Ici, je me sens libre, j’en oublie de déjeuner, je me nourris du paysage, de la beauté des montagnes se découpant sur l’azur du ciel, du chant des oiseaux et du cri-cri des grillons. Ici, plus de bruit de circulation. Mais le calme absolu, le vent dans les branches des vieux chênes, le bourdonnement des abeilles dans les tilleuls en fleurs, et au loin, le bruit rafraîchissant de la cascade. La caresse du soleil sur ma peau, le bonheur de marcher pieds nus dans l’herbe drue et fraîche. Ici, mes chiens gambadent tout le jour, courant après un papillon, une balle, qu’ils me rapportent aussitôt. Plaisir de courir. Ici, à la fraîche, les habitants se retrouvent sur les bancs de la place de l’église, à l’ombre des tilleuls centenaires, et chacun y va de son petit potin.

La paix est dans l’air, la sérénité pénètre notre âme à la vue d’un champ de fleurs sauvages, parsemé de touffes de lavande odorante. Quelle beauté ! Tous ces tons de vert, allant du plus tendre au plus foncé. Toutes ces feuilles, toujours en mouvement. Pour un peu, on pourrait croire à l’éternité.

C’est un village classé, fortifié du temps du Duc de Courmis, seigneur italien. Raymond Rosso vint de Lombardie à la suite de Charles d’Anjou, avec Rostan Honoré son fils, et y fonda ce village. Il fut donné à Romée de Villeneuve en 1235, par le Comte de Provence. On s’y promène au gré des ruelles, la place est ombragée d’énormes platanes. Pour avoir un peu de fraîcheur on peut descendre jusqu’au lavoir, ou découvrir la cascade qui abritait au siècle dernier un restaurant. Vers 1907, ce restaurant est un lieu très prisé des promeneurs et on pouvait se restaurer derrière une chute d’eau de 70 mètres de hauteur. Lire l'article. L’église Sainte-Madeleine du XVIIe siècle renferme le tombeau de l’illustre famille de Courmis. Et chaque année, le premier dimanche de septembre on y célèbre le Saint Patron : Saint Félix. Le matin : aubade, messe, procession tout autour du village, puis grand repas sur la place, toute la journée Courmes est en fête.

- peinture d'Agnès Contamine -

Notre maison est vieille, c'est une ancienne bergerie, 1879 est gravé sur le fronton de pierres au-dessus de la grosse porte d’entrée. Mais elle a un charme fou. Charme envoutant des vieilles demeures : on peut ressentir l’ineffable présence des âmes qui y veillent. Des ondes joyeuses et sereines. Dans le jardin des tilleuls centenaires, immenses et majestueux. C’est un havre de paix, les montagnes au loin, où brille le manteau neigeux, lui servent d’écrin. Les cerfs viennent manger les roses, et les figues d’un grand et vieux figuier aux branches tordues. Les arbres longtemps négligés, retrouvent vie, vigueur et reverdissent. Chants muets des vieilles pierres, et charme indicible. Sur les murs court une treille, c’est du raisin framboise, un vrai délice. On peut voir fichés dans le mur les anneaux qui servaient à attacher les chevaux.

Les couchers de soleil irradient le ciel, les rayons rouges, jaunes, orangés jouent à travers les feuillages. Les montagnes se découpent sur l’azur des cieux. Le ciel s’assombrit, la brume descend des montagnes sur le village. Une atmosphère ouatée s’étend à travers champs. Les oiseaux se taisent, la nuit tombe. Le village s’endort. Les cerfs et les biches, dans la forêt avoisinante, quittent leurs fourrés et, sans crainte, s’approchent du village. Les cerisiers couverts de fruits sont bien tentants. En un bond gracieux, une biche au beau pelage couleur cannelle saute le portail, et dévore toutes les cerises à sa portée. Son petit derrière blanc luit dans la nuit, ses grands yeux brillent, ses oreilles dressées guettent le moindre bruit. Le cerf, le seigneur des forêts frotte ses bois contre l’écorce du vieil érable, en bramant. Ce cri rauque s’élève comme un chant d’amour au crépuscule, il rebondit en écho contre les barres rocheuses. La passion amoureuse emplit la forêt, car ce cri est un cri de défi et de puissance. Un brame de séduction et un cri de triomphe. Le cerf allonge son cou, lève son museau vers le ciel, retrousse ses babines et ses narines et pousse son cri guttural alors que ses yeux chavirent.

Dans l’air, de minuscules particules de poussière, de pollen, tremblent dans la chaleur de midi. Des restanques de vieilles pierres sortent de gros scorpions noirs. Leur piqûre est douloureuse mais pas mortelle. Des nuées de papillons multicolores, jaune vif, jaune orangé, violet, bleu-nuit, rouge, virevoltent autour des pruniers. Ils s’abreuvent du nectar de ces fruits très mûrs, des quetsches et des prunes jaunes juteuses. Un bruissement d’ailes continu, ils virevoltent autour de nous, nous frôlant de leurs ailes comme pour y déposer des baisers.

Plaisir des yeux, instants de bonheur. Au lavoir coule une eau glacée et pure, arrivant tout droit des montagnes. L’eau jaillissant de la fontaine éclabousse tout alentour. Petites larmes de lumière. Il y a aussi dans la forêt derrière la maison, un chêne, plusieurs fois centenaire. Son tronc est si large, qu’il faut six personnes se donnant la main, pour en faire le tour. C’est la coutume dans le village, on vient ainsi prendre l’énergie de l’arbre et se ressourcer. Le chêne a toujours représenté la force, la puissance. Appuyez votre oreille contre son tronc rugueux, écoutez-le respirer, il vous dira peut-être tous les secrets qu'il détient et vous racontera tous les faits dont il a été le témoin !

C’est l’époque de ramasser les noix, avant les écureuils. Mon fils pour les faire tomber donne de grands coups de pieds sur leurs troncs. Les noix dégringolent et les enfants se précipitent pour les ramasser. Mon petit-fils voulant faire comme son oncle envoie aussi un grand coup de pied sur le tronc du noyer, et se retrouve projeté en arrière, assis sur son derrière, riant aux éclats : une grosse noix vient de tomber de l’arbre ! Pour guérir les maux de l’âme, il n’y a que le rire des enfants.

Vivre dans ce village accroché au flanc de la montagne, c’est choisir la sérénité, c’est aussi vivre au rythme des saisons, respirer les parfums d’un sous-bois après la pluie, côtoyer au quotidien tout ce qui vit et respire : des primevères à peine écloses, un pic-vert, des chevreuils.

Cet endroit me ramène au village de mon enfance : Baraki de l'autre côté de la méditerranée. Certes ce n’est pas le même climat, ni le même style de maison mais l’amour y est, l’amour de la terre, de la nature sauvage, des arbres, la satisfaction du travail accompli. À chaque fois que j’y vais il me semble retrouver l’ambiance chaleureuse de nos vacances chez mes grands-parents. Et dans la grande chambre du haut, vieille mais bien cirée trône la machine à coudre Singer sur laquelle ma grand-mère Virginie cousait des pantalons pour l’armée en 1914, pendant que mon grand-père se battait à Verdun.

Souvent le soir, assise sur le rebord de la fenêtre, les genoux repliés, la tête appuyée sur le chambranle, je regarde le ciel ; les étoiles scintillent et brillent, le ciel se fait velours. Mon esprit vagabonde. En une seconde, je parcours des milliers de kilomètres et je remonte le temps malgré mes souvenirs qui pâlissent de jour en jour, je suis à Baraki, petit village de mon enfance. Dans cette petite maison où régnait l'amour… »

Jocelyne Mas