Festival de Cannes : DSK donne sa leçon de cinéma
où comment la réalité dépasse souvent la plus invraisemblable fiction...
Dominique Strauss-Kahn en passe de voler la vedette au Festival du film ? Il est vrai qu'on ne parle que de ça sur les plages de la Croisette et dans les couloirs. Pris entre deux feux, la fiction et la réalité, les journalistes ont la tête qui… tourne et en oublient parfois ce pourquoi ils sont venus ici. Les scénaristes (surtout hollywoodiens) se frottent déjà les mains, ils ont du pain sur la planche, prêts à tuer père et mère pour être les premiers… à sortir le script.
Un directeur du Fonds Monétaire International pris dans la nasse de la justice américaine pour une affaire de mœurs, débarqué de l’avion qui l'aurait conduit de facto hors de portée des autorités, puis menotté, incarcéré dans la terrible prison de Rikers Island à New-York… quel meilleur et plus improbable scénario pour un réalisateur de cinéma ou de série télévisée. Je doute fort, qu’il y ait seulement un mois, un tel script eut trouvé preneur. Encore une fois, les détracteurs des histoires impossibles resteront à quai. Tout est possible dans ce bas monde, toutes les turpitudes, tous les complots sont enfouis dans l’âme humaine !
Si ce qui arrive à DSK semble extra-ordinaire, aux yeux des Français surtout, c’est la situation et la dimension politique de l’homme. Adoubé par Nicolas Sarkozy en personne pour être un très crédible et jusqu’à preuve du contraire, un bon directeur du FMI et un excellent négociateur, il était aussi son principal adversaire dans la course à la présidence. De récents sondages le donnaient à tous les coups, gagnant au second tour. Donc, c’est un potentiel président de la République que les Américains ont mis en tôle et traîné dépenaillé et le regard vide, devant toutes les caméras du monde. On en oublie volontiers que les hommes politiques ne sont pas de bois, et que leur vie sentimentale et sexuelle peut être pour le moins désordonnée et quelques peu décevante du moins pour les spectateurs. À commencer par notre François Mitterrand et sa double vie dont il avait fait admettre par tous les médias et les journalistes aux ordres et au nom de la… République, qu’elle devait rester secrète. Que dire de Sylvio Berlusconi et de ses frasques qui n'amusent que les machos et ont fait descendre les femmes italiennes dans la rue pour protester, sinon que la coupe était pleine et qu’elle est en train de déborder…
On peut bien sûr aller chercher plus loin dans l’histoire de France qu'elle soit royale ou républicaine, trouver d’autres exemples chez les Grecs et les Romains ; pourquoi pas chez les Papous ? Reste que le dossier DSK recèle une particularité de taille, il s’agirait en effet d’une tentative de viol, sur une employée d’hôtel de 32 ans, noire, mère célibataire d’une fille de 15 ans, modèle et discrète aux dires de ses employeurs. Une situation bien loin de celle que connut le président parjure des USA, Bill Clinton et de sa stagiaire séduite et consentante, Monica. On se rapproche plutôt du chef d’État israélien, Moshé Katzav dont on a bien vite oublié qu’il avait été jugé et reconnu coupable, en décembre 2010, de deux viols de subordonnées.
Retour au cinéma et au Festival. Le cas de Roman Polanski, dont le souvenir a pu peser lourd dans la balance. La réluctance du réalisateur à se soumettre à la justice, a dans un premier temps, amené la juge à refuser d’envisager la libération sous caution de DSK, même si la somme proposée était assez conséquente, 1 million de dollars plus une garantie sur la maison de sa femme à Washington évaluée à 5 millions de dollars (des montants plutôt confortables pour un responsable socialiste… mais cela ne nous regarde pas).
Les amateurs de séries télévisées américaines ont dû voir double lorsqu’ils ont appris par les médias, l’arrestation et l’incarcération du président du FMI, président putatif de la France. Ils ont peut-être cru un instant que DSK était venu, en tant qu’acteur invité, pour jouer dans un épisode de New-York Unité Spéciale, unitié spécialisée dans les crimes à connotations sexuelles. À moins qu’il ne s’agisse de la série des Experts de Manhattan et d’un partenariat avec Gary Sinise et Stella Kanakerades ? Plus probable encore la série New York police judiciaire qui explicite le pourquoi et le comment du système américain. Véritable explication de texte, chaque épisode commence ainsi : « Dans le système pénal américain, le ministère public est représenté par deux groupes distincts, mais d'égale importance : la police, qui enquête sur les crimes, et le procureur, qui poursuit les criminels. Voici leurs histoires. »
Mais là où l’affaire DSK rejoint le mieux des segments importants du scénario actuel, c’est dans la série The good wife, traduite pour la version québécoise par Une femme exemplaire. Même si l’histoire se situe à Chicago, l’affaire ne peut plus maintenant nous laisser indifférent. On y voit un des personnages tout puissant dans le système judiciaire américain, le procureur général, accusé d’avoir utilisé les services d’une prostituée. Joué par un impeccable Chris North, il est traîné devant la justice de son pays comme un vulgaire cambrioleur, menotté, emprisonné, sali par les médias, abandonné par une partie de ses… amis politiques (n'oublions pas que le poste de procureur est soumis au vote populaire). Libéré enfin sous caution, il doit rester chez lui, emprisonné, un bracelet électronique à la cheville, un policier sur le pas de la porte…
Tout ça devant sa femme (la sensible actrice Julianna Margulies) et ses enfants qui apprennent, en consultant Internet, toutes les ignominies qu’auraient faites le mari et père. Si l’infidélité est avérée, la corruption liée au paiement d’une professionnelle du sexe, ne l’est pas. L’hypothèse d’un complot est très vite sortie du placard. Le piège s’est refermé et il faudra toute la force de caractère de sa femme pour espérer l’en sortir. Nous n’en sommes pas là, et l’idée d’une conspiration visant à faire tomber DSK a, semble-t-il, été abandonnée. Tant mieux, car on sait combien les luttes pour le pouvoir peuvent être sanglantes (au sens figuré du terme) et haineuses ; combien aussi le pouvoir corrompt. Les attendus de justice… français fourmillent de détails sur des dérapages tandis des suicides non résolus comme ceux de Pierre Bérégovoy, François de Grossouvre ou de Robert Boulin laissent planer le doute sur une classe politique pervertie.
Retour au Festival, au cinéma et au film de François Truffaut : pour Dominique Strauss-Kahn, même sorti de prison, c’est toujours « La nuit américaine ! »
Alain Dartigues