Rencontre avec Bernard Brochand (article publié en 1999)

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Paris-Côte d'Azur. - Quand vous est venue l'idée de vous présenter à la mairie de Cannes ?
Bernard Brochand. - Cannes c'est toute mon enfance, c'est l'histoire de ma famille. Ce sont mes années lycée, des années heureuses. Au début de ma carrière professionnelle mon grand-père me dit, très cérémonieusement : "un jour, il faudra que tu redonnes ce qu'on t'a donné". Et en acquiesçant, je lui fis comme une promesse.
P.-C.A. - Avant même que votre candidature soit officielle, les médias vous donnaient gagnant. Mais la population vous connaît encore peu.
B. B. - Une élection n'est jamais gagnée d'avance. J'organise ma succession à la tête d'un groupe publicitaire, le deuxième au monde et qui emploie l5 000 personnes. A l'aube de l'an 2000 j'aurai les mains libres. Je serai disponible à 100 %. Je suis de ceux qui pensent que diriger une ville comme Cannes c'est une mission, pas un métier.
P.-C.A. - En 1971 vous entrez au P.S.G, et vous y êtes toujours. Être maire de Cannes c'est dire adieu à Paris et au P.S.G. je suppose.
B. B. - Évidemment, même si mon aventure au sein du club parisien compte beaucoup. En 1991 Jacques Chirac, alors maire de Paris, me demandait de réorganiser le club. Je trouvais de nouveaux partenaires, des copains, je mis moi aussi la main à la poche et fis entrer Canal+ dans le jeu. Vous connaissez la suite. Ce fut une façon de réaliser, par personnes interposées, mes rêves de joueur contrarié.
P.-C.A. - L'état actuel de l'A.S.C. est un désastre sportif et financier.
B. B. - Plus que vous ne le croyez. Ça me fait mal au cœur. Mon père, expert-comptable, en fut le trésorier. J'y ai joué. Un des rares club qui pourrait fêter ses 100 ans d'existence en l'an 2002.
P.-C.A. - Vous pourriez être l'homme providentiel ?
B. B. - Ce n'est pas à la ville de tenir le club à bout de bras. Et je ne crois guère en une Société d'Économie Mixte pour gérer un club de foot professionnel ambitieux. Il s'agit d'abord de mettre autour d'une table tous les acteurs et de chercher sérieusement les solutions. Elles existent.
P.-C.A. - On le sent vite, le foot c'est votre passion. Mais est-ce si important pour Cannes d'avoir un grand club ?
B. B. - Pourquoi s'en priver. D'ailleurs c'est vers le "privé" qu'il faut se toumer. Mais il y a aussi le volley-ball qui marche bien, le rugby qui relève la tête, le judo, la natation… Je suis d'ailleurs surpris qu'il y ait autant de licenciés sportifs dans cette ville où la moyenne d'âge est pourtant assez élevée. C'est Bon Signe !
P.-C.A. - Imaginez-vous Cannes en ville du Cinéma et des Congrès ou en un nouveau Las Vegas ?
B. B. - J'ai vu récemment ce qu'était devenu Las Vegas. Ce n'est vraiment pas ce que je souhaite pour Cannes. D'ailleurs faut-il mettre tous nos œufs dans le même panier ? Bien sûr, il faut utiliser et maîtriser la dynamique Cinéma. Ce n'est pas pour rien que notre ville est connue dans le monde. Le Festival, les Congrès mais aussi un tourisme traditionnel qui engendre une prospérité mieux répartie. Je suis assez partisan d'un développement équilibré. L'avenir est si fragile. (Bernard Brochand reprend son souffle) La ville est actuellement sans projet. La politique culturelle me paraît manquer d'ambition alors que Nice s'envole, Antibes décolle et Vallauris renaît.
P.-C.A. - Cannes ville des congrès : on pense tout de suite à la Semec. Certains murmurent que c'est un État dans l'État.
B. B. - Les S.E.M. ne sont pas pour moi la panacée, loin s'en faut, mais il est évident que la ville doit participer activement à la gestion du Palais et au contrôle de la politique de développement des manifestations. L'enjeu est trop important, Cannes est la deuxième ville de congrès au monde, mais la concurrence est de plus en plus dure. Elle vient par exemple de laisser échapper l'organisation du premier Marché Mondial de l'Éducation, de la Formation et du Savoir. Je ne désespère pas de convaincre Xavier Roy que le site cannois possède plus d'attraits que celui de Vancouver, qui vient de décrocher le contrat.
P.-C.A. - Le mot "urbanisme" fait dresser les oreilles de bien des Cannois, les cheveux de bien des élus.
B. B. - Il y a des dossiers qu'il faut absolument débloquer. Le Palm Beach bien sûr, le club-house du Port Canto, lieux privilégiés que le monde entier peut nous envier et qu'il est pour le moins dommage de ne pas mieux utiliser.
P.-C.A. - Parlons des gens qui vous accompagneront sur votre liste. Vous les souhaitez "compétents, honnêtes, dynamiques". Sont-ils difficiles à trouver ?
B. B. - C'est vrai, je suis très sollicité. Fort heureusement nombreux sont ceux qui répondent à ces critères.
P.-C.A. - Vous avez indiqué que peu d'élus de l'actuelle majorité apparaîtront sur votre liste. Peut-être aucun.
B. B. - Aucune porte n'est définitivement fermée et je n'ai fait à ce jour de promesses à personne.
P.-C.A. - Un comité de soutien à votre candidature fonctionne. André Girone en est à la tête. On l'imagine assez bien en premier adjoint ou aux finances.
B. B. - Je le connais depuis mon enfance. Il a aidé ma famille. Expert-comptable comme mon père, il est certain qu'il connaît très bien les finances…
P.-C.A. - André Girone n'a jamais caché une sensibilité plutôt à gauche. Vous êtes proche du RPR, ami de Jacques Chirac, cela étonne quelque peu de le voir à vos côtés.
B. B. - Pour gérer une ville, il faut rassembler large. Il y a des nuances entre le blanc et le noir, la droite et la gauche.
P.-C.A. - Vous avez rencontré à Paris MM. Gilles Cima et Paul Simonet et conclu un accord de bonne conduite pour la campagne.
B. B. - Rétablissons la vérité. Louise Moreau a pris l'initiative de la rencontre qui fut, comme il se devait, courtoise.
P.-C.A. - Vos liens avec le RPR ?
B. B. - Ils existent. C'est ma famille politique. J'ai eu le bonheur de faire plusieurs campagnes de communication pour Jacques Chirac et je l'ai accompagné jusqu'aux présidentielles.
P.-C.A. - "La France pour tous" c'est vous. Pourquoi pas "Cannes pour tous" ?
B.B. - (sourire) Trop facile !
P.-C.A. - Le maire RPR, M. Maurice Delauney, semble à votre égard être d'une neutralité bienveillante.
B. B. - Pas simplement à mon égard.
P.-C.A. - Le choix de Claude Benitah, membre influent du RPR comme conseiller spécial aux côtés du maire, ne semble pas innocent.
B. B. - M. Benitah m'a spontanément proposé son aide et je l'ai acceptée. Il ne faut y voir aucun machiavélisme.
P.-C.A. - Autre personnalité forte du RPR et proche de Jacques Chirac, Pierre Lellouche, qui n'a pas été très adroit avec les Cannois.
B. B. - Il m'a avoué qu'il se demandait encore comment il en était arrivé là. Un coup de colère peut-être.
P.-C.A. - Maire de Cannes, est-ce le début de nouvelles ambitions ? Le département, la région… ?
B. B. - Il n'y a que les municipales qui m'intéressent. Le cumul des mandats électifs, ce n'est pas pour moi.
P.-C.A. - Si vous aviez reçu le questionnaire du mensuel Capital qui demandait aux hommes politiques des informations sur leurs revenus et leur patrimoine, auriez-vous répondu ? On sait que Chirac, Jospin l'ont fait, mais pas Sarkozy, Balladur, Madelin, Aubry, Fabius ou Cohn-Bendit…
B. B. - Oui, sans problème.
P.-C.A. - Au cours de votre carrière vous avez beaucoup voyagé. Quels sont les hommes et les femmes remarquables que vous avez rencontrés ?
B. B. : Bien que le pouvoir des hommes politiques ait diminué et que leur crédibilité soit bien entamée j'ai découvert parmi eux des personnalités attachantes, plus humaines et sensibles qu'on veut nous le faire croire. Côté sport-passion, Platini se détache. J'ai travaillé avec lui à l'occasion du Mondial. Mais les rencontres les plus remarquables je les ai faites au détour d'un livre. Yourcenar, Bernanos et Paul Valéry sont mes auteurs de chevet. Je dors entre quatre et cinq heures par nuit…

René Allain

- article publié dans le magazine Paris Côte d'Azur, version papier en 1999, durant la campagne pour les municipales de 2001 -