Nice : « T'es qui toi ? C'est quoi ça ? »

Crédits:
autre

Une exposition d'Hervé Courtain à la Galerie des Docks.

Du virtuel au réel
De l'anonymat à la signature
De l'hétéronyme à l'identité

« T'es qui toi ? C'est quoi ça ? » Le titre de l'exposition résume bien la démarche de l'artiste. Pour ceux qui connaissent uniquement « la Galerie virtuelle de Gaëtan Bellevue », cette exposition donne enfin l'occasion de se confronter à la matérialité du travail de ce peintre singulier, qui revendique haut et fort son statut d'électron libre. Singulier, Hervé Courtain l'est déjà par son attachement à la peinture et au portrait. Il l'est encore par son choix de l'huile sur papier qui est sa technique et son support préférés, même si on pourra voir beaucoup de dessins à l'encre de Chine ou diverses œuvres aux matériaux et techniques aussi mixtes que variés.

Mais, quelque soit la forme, l'idée est là qui taraude l'artiste et le pousse à des déclinaisons infinies. « T'es qui toi qui n'est pas moi ? » Comment venir au bout de l'altérité ? Est-il même pensable de percer ce mystère ? La question de l'autre et du même, intrinsèquement mêlée à celle de l'un et du multiple constitue l'articulation profonde d'une œuvre traversée toute entière par la fulgurance de ce doute. Le recours à la série, souvent longue (37 portraits, 2 x 24 sabliers, 60 autoportraits, 81 crânes…) prend alors tout son sens. La démultiplication de l'objet, à chaque fois ni tout à fait le même, ni tout à fait un autre, questionne notre regard et nous amène nécessairement à déplacer notre point de vue.

Là aussi intervient la singularité d'Hervé Courtain qui ne nous demande pas pour autant d'adopter ce qui serait le point de vue de l'artiste. Il nous convie plutôt à une déambulation savamment orchestrée – l'ordre de présentation et l'accrochage participent aussi de l'œuvre – et nous confronte à une multitude d'interprétations comme autant de possibles. Notre regard glisse d'une pièce à l'autre et de ce glissement même naît la sensation d'un mouvement qui n'aurait en fait aucune raison de s'arrêter.

De ce point de vue, les diaporamas sur écran renforcent encore la démarche de l'artiste qui sait se servir de l'outil numérique pour l'intégrer avec cohérence dans son propos. Le défilement en boucle aléatoire permet de repousser dans les limbes la question du terme de la série.

Nous sommes d'ailleurs généralement saisis par un sentiment de quasi surprise lorsque nous arrivons au bout d'une des séries exposées. Pourquoi, comment s'arrête-t-elle? Ces questions demeurent très mystérieuses et il serait intéressant d'entendre l'artiste sur ce point. Car au fond il semble bien que chaque série engendre la suivante dans une continuité qui les relie en profondeur au delà de l'existence autonome de chaque œuvre. Ces facettes démultipliées comme dans un jeu de miroirs finissent par créer une chorégraphie à laquelle, volens nolens, nous participons et qui vise à la fois à nous révéler des mondes inconnus et ou à nous faire douter de notre propre perception.

Ce qui nous amène directement à la deuxième question exprimée dans le titre : « C'est quoi ça ? » Question qui renvoie de fait à l'Art Contemporain, la plupart du temps si difficile d'accès pour ses contemporains mêmes. Reconnaissons que, plus souvent qu'à son tour, il nous est arrivé de réagir ainsi face à une œuvre contemporaine : « Kézaco ? » Entendons-nous bien, il ne s'agit pas de regretter des temps voués à la reproduction et à la ressemblance du supposé réel. Il s'agit plutôt de tirer partie de notre perplexité face à un objet insaisissable pour remonter à une autre question, encore plus fondamentale : à quoi ça sert ?

Et nous voici au cœur de la problématique de toute création artistique. Quel est le rôle et la fonction de l'art? Que se passe-t-il pour nous en tant que personne, face à une œuvre d'art qui contient toujours une part d'énigmatique ? Et en filigrane : que se passe-t-il collectivement pour une société face à ses artistes, ceux qu'elle reconnaît, ceux qu'elle rejette et ceux qu'elle ignore ?

L'œuvre d'Hervé Courtain contient toutes ces questions en germe et ce n'est pas son moindre mérite. Au delà des concepts et de la structure des œuvres, un mot encore sur la peinture elle-même.

L'huile permet à l'artiste de faire chanter ses couleurs et donne une présence forte à des pièces rendues encore plus vulnérables par le support papier. Hervé Courtain qui a longtemps privilégié une palette réduite à trois couleurs (+ un noir et un blanc) manie la nuance avec délicatesse et brio. C'est en soi suffisamment rare aujourd'hui pour mériter d'être souligné. Dans la dialectique revendiquée par le peintre, entre perfection et imperfection, l'huile sert en quelque sorte de vecteur qui maintient en tension ces deux pôles.

Il en ressort une peinture dont nous sommes étonnamment proches par son inventivité et son entêtement et surtout par cette volonté d'affirmer la maladresse comme expression intrinsèque de la condition humaine. Nous ne sommes pas écrasés par l'œuvre d'Hervé Courtain. Nous sommes émus, touchés dans notre humanité même d'êtres imparfaits et dans notre rapport nécessairement tortueux au monde.

Josiane Scoleri


  • Galerie des Docks, 11 Quai Deux Emmanuel – Nice – tel. 04 93 56 48 65 - jusqu’au 12 juin