Cannes : Le jazzman, la Diva et leurs petits virtuoses :
Le Suquet descend de ces hauteurs pour présenter sa première nuit près de la mer.
Qui a dit que la musique adoucissait les mœurs ? Le couple Lockwood – Casadeus n’avait pas lu Molière pour se chamailler à coup de notes lyriques et rythmes jazzy dans le « Jazz et la Diva » en 2006 ! Les comptes matrimoniaux ne sont visiblement pas réglés puisque le duo réitère la formule en servant un 2ème opus au spectacle.
Le Palais des Festivals avait-il préparé une sécurité renforcée pour accueillir les disputes musicales de la famille entière ? La Diva, Caroline Cassadeus, avait bien caché à son mari violoniste, Didier Lockwood, l’existence de ses deux gamins, David et Thomas Enhco. Qu’importe, le musicien les fait participer sur scène : plus on est de fous, plus on s’harmonise ?
- Caroline Cassadeus et Didier Lockwood -
Un règlement à l’amiable semble bien aléatoire entre les époux qui se partagent les enfants…mais également la scène. Comme en temps de guerre, chacun a son quartier délimité : un chandelier et de vieilles partitions suffisent à installer une ambiance intimiste et classique du côté gauche, tandis qu’à droite, une affiche des Stooges maladroitement scotchée sur un ampli de guitare, gît tel un totem au milieu des bouteilles de bières. Une scène géographiquement symétrique mais thématiquement disparate qui annonce bien la suite du spectacle ! Si l’espace est séparé en deux, c’est pour le bonheur du ménage… et des spectateurs ! Jamais l’attente n’a été aussi importante. L’ajout du rock à ce spectacle classico jazz ne pouvait être qu’un régal auditif supplémentaire !
Une telle révolution visuelle a des raisons musicales et met en scène des personnalités contrastées. On pensait que les deux jeunes musiciens, qui complètent le quatuor familial n’allaient passer que pour des seconds rôles brillants accompagnateurs. Or, dès le début du spectacle, les deux garçons sont présentés comme des musiciens prometteurs et efficaces par leur mère et leur beau-père, parrain musical. Jouant encore sur les oppositions, Thomas, homme trop bien sous tout rapport, s’installe devant les touches d’ébène du clavier nacré tandis que son aîné, David, homme renfermé dans sa capuche vermillon, prendra ses quartiers musicaux à la basse. Des stéréotypes, certes, n’ayant pour but que d’illustrer la bataille des Anciens et des Modernes, mais aussi d’amuser !
La dispute de la dame classique épaulée par son fils classe et de son mari expérimentant un jazz-électro bœuf grâce à son beau fils flegmatique amuse la galerie mais ennuierait presque à la longue si une autre dynamique n’arrivait pas dans la mise en scène. En effet, si chacun continue à batailler avec son poulain, l’apparente galanterie de Didier Lockwood à l’égard de sa femme et la musique classique qu’il joue ponctuellement avec celle ci ne sont que des instants de paix éphémères et prévoient et annoncent le double jeu écrit par le violoniste talentueux. Thomas attend vite que sa mère, rigide musicalement, ait le dos tourné pour faire le mur dans un trio jazzy impressionnant avec les autres hommes de la famille. David et sa basse se confrontent alors clairement aux oreilles du public. Les cordes basses résonnent de façon pas très rock and roll et les premières déceptions naissent aussitôt surtout quand Iggy Pop nous fait de l’œil ! Mais après réflexion, le concept est assez novateur au niveau de la mise en scène. Le bassiste attend un peu avant de nous surprendre en apparaissant à la trompette pendant un duo filial.
- Les frères Enhco -
Ainsi donc, les deux frères ne jouent pas très franc-jeu avec leur parrain respectif ! Le couple star est bien désarçonné par la souplesse musicale des frères précoces ! Didier Lockwood prend alors son statut de violoniste vedette, en proposant en solo un voyage autour du monde. Ce globe trotteur nous rappelle, en une longue suite de notes, que le violon n’est pas qu’un instrument classique ou du jazz mais également du monde ! Par les arpèges américains–cajuns et asiatiques mineurs, l’instrument à cordes à la polyvalence culturelle vibre sous les doigts du virtuose français qui, si envoûté et passionné par son instrument, se plie, se tord et fait voler son archet en crins épars.
Mais qui sont donc ces musiciens si doués ? Caroline Casadesus tient tête à ses hommes jusqu’au bout mais cède face à tant de talents en présentant le don total et éclectique les 3 musiciens qui changent d’instruments en frisant l’impertinence. David Enhco va de sa basse à sa trompette avec habilité. Son frère, fermant son clavier, rivalise avec Didier Lockwood au violon. Le violoniste vedette laissant le jeune prodige à son instrument habituel, se tourne vers le saxophone ! Chacun prend ses armes pour vivre dans cette famille recomposée.
Alain Sachs met en scène un spectacle pédagogique et divertissant donnant envie au conservatoire poussiéreux de ranger ses plumeaux ! Le seul regret de la prestation classico–jazz réside peut être dans le rôle de Caroline Casadesus. La Diva mène certes son petit monde masculin à la baguette et rayonne dans ses déclamations classiques grâce à sa voix singulière et sensationnelle. Mais aussitôt en place avec le trio de piano bar, son timbre a du mal à se mêler habilement au rythme jazzy.
Après l’ovation du Palais des Festivals cannois, cette famille formidable qui a programmé son spectacle jusqu’en mai 2010 et se produit actuellement à l’île de Ré continuera de se réconcilier à la rentrée, de Compiègne à Marseille, en décembre prochain. De quoi tordre les oreilles des puritains de ces deux styles à la fois différents et complémentaires !