Archives : le XIVème Festival de Cannes.

46 ans après, les mêmes mots pour parler de cette manifestation…



Cet éditorial de Fernand Dartigues faisait la couverture du bien nommé magazine bimensuel Cannes-Festival, numéro 52 du 27 avril 1961. A le relire, on conviendra que rien n'a beaucoup changé si ce n'est la taille de l'évènement et sa position géographique dans la ville.

Conçu en 1939 – et plusieurs personnalités se sont disputées l'honneur de cette conception – réalisée en 1946 pour la première fois, le Festival international du film, plus connu sous le nom de Festival de Cannes, est maintenant le XIVème. Est-ce un chiffre important, est-ce un âge très avancé ? Nul ne connaît à l'heure actuelle, l'âge moyen d'un festival. Celui de Venise en est à sa 22ème année et semble encore plein de vie.

Dans la mesure où le cinéma continuera à exister, les festivals persisteront. Or, le cinéma correspond trop aux besoins des civilisés pour que notre civilisation le laisse disparaître. Le cinéma est à la fois l'opium des peuples et le stimulant : celui qui nous donne des rêves, celui qui nous apprend à mieux voir la réalité. Il nous a, plus que tout autre, aidé à nous représenter le monde tel qu'il est, quelquefois tel qu'il fut, et même comme il sera, voire comment il pourrait être.

Le cinéma c'est la langue d'Esope, le meilleur et le pire. C'est l'auberge espagnole où l'on trouve ce qu'on apporte. C'est le moulin à prières, le télescope, le microscope… Pour quelques-uns, parmi les artistes, c'est le moyen d'expression le plus universel que l'on est jamais connu. Des poètes comme Pagnol, Cocteau, Giono, Prévert nous l'ont prouvé !

Quoiqu'il en soit, nous voilà à ce festival qui va attirer sur lui le plus grand intérêt. Je ne dirai pas que "le monde entier aura les yeux fixés sur lui" comme il est d'usage de le dire aujourd'hui, mais il est certain que peu d'événements obtiennent un tel succès. Des centaines de journalistes et de photographes représentants des centaines de journaux, des spécialistes de la radio, de la télévision… des producteurs, des distributeurs, des exploitants, des techniciens, des hommes d'affaires, des affairistes, des personnages décorés et décoratifs, des dames distinguées ou originales, des resquilleurs chevronnés… enfin la plus grande concentration d'hommes et de femmes capables de se mette en tenue de soirée pendant dix-sept jours, d'assister à trois réceptions par jour, de donner des conférences de presse, d'en entendre, de serrer des centaines de mains, d'accueillir mile déceptions, cent satisfactions, trois ou trois grandes joies, d'écouter cent milles opinions… Il est juste de dire qu'il y a aussi des films : ceux qui passent en séance officielle, ceux de la petite salle, ceux que l'on présente en ville…

Du Martinez au Majestic, d'un casino à l'autre, la Croisette se sera plus qu'un écran panoramique sur quoi se dérouleront une infinité de scènes pour "comediante" et "tragediante". Starlettes et grandes vedettes vont se mesurer, les hommes à gros cigares vont déambuler dans le hall du Carlton avec des airs de corsaire ou de maquignon. Les jeunes journalistes en mal de copies vont partir à la recherche d'échos, les vieux vont en faire, les lycéens cannois vont faire signer des autographes à des inconnus grisés par ce succès, les stands vont distribuer des tonnes de papiers imprimés dont seulement quelques grammes seront lus…

Les chasseurs de cartes d'invitation vont accomplir des prouesses épuisantes afin d'obtenir une place pour les soirées où il n'y en a plus. Les photographes vont se battre pour le même sourire figé de la BB du jour, et celui si pâle du secrétaire général. Les ascenseurs vont monter jusqu'au troisième étage des milliers de candidats qui descendront, allégés de leurs illusions. Le concierge Rossi va déjouer les ruses des chapardeurs. Le directeur, M. Colas, affirmera que c'est son dernier festival… et les dix-sept jours passeront ainsi, de cette façon un peu démentielle qu nous séduit tant, au fond.

Les derniers jours s'accéléreront et nous arriveront à confondre tellement la fiction et la réalité, que nous croirons tantôt tourner un film, tantôt y assister, et que nous mêlerons les images de l'écran avec celles de la vie. Nous nous apercevrons mieux que chacun, ici-bas, joue un rôle et, qu'en somme, si l'on veut, c'est toujours festival !

Vive donc ce XIVème et qu'il soit aussi grand que le Louis du même nombre !

- mention : www.pariscotedazur.fr - février 2007 -
- info@pariscotedazur.fr-