Douces amères.
- de la tentation de dire et d'écrire -
La tentation est grande, parfois, face à l'hypocrisie ambiante, de dire ce qu'on a sur le cœur. Certains le font, au travail, au bistrot, entre amis, simples spectateurs de cette immense comédie. D'autres s'expriment à la télévision, avec assurance, complaisance, naïveté parfois. Reste encore le cinéma et l'écriture (je fais volontairement l'impasse sur les arts plastiques).
On peut dire beaucoup de choses au cinéma et lâcher son venin, mais si l'on veut être produit, il faut un zeste d'érotisme ou de sexe, quelques scènes de violence gratuites, quelques poursuites dans les rues de Frisco, L.A., Tokyo ou Marseille… Ou encore la plume ou le clavier de son P.C. pour "le dire", pour montrer du doigt les bouffons du roi, quitte à faire grincer des dents les esprits chagrins.
On a parfois l'impression que, ce qu'on dénonce est aussi, pour beaucoup d'autres, une évidence. Rares seront ceux qui, malgré tout, vous emboîteront le pas. Minoritaire ou majoritaire c'est en silence qu'on applaudit, mais aucun ne nous accompagnera au bûcher. Tant pis !
Faites la Pax ! J'étais enfant lorsque j'entendais mon père s'énerver après chaque accord, chaque armistice, chaque traité signés : - Pourquoi ne pas commencer par là, par faire la paix puisque de toute façon, ils finiront par la faire ! Ça économiserait pas mal de douleurs, pas mal de tombes devant lesquelles on vient s'agenouiller et déposer une gerbe. A quoi bon tous ces morts, morts à l'âge de vivre !
Les mutins de l9l7. Giono Jean écrivait "Refus d'obéissance". Il passa quelques mois en prison. Plusieurs centaines de poilus ne voulurent pas mourir pour rien, sacrifiés au délire de quelques généraux séniles. Anonymes combattants, sans grade, ils furent fusillés. Qui s'en souvient maintenant ? Et s'ils avaient eu raison ?
Et si tous les soldats du monde se reconnaissant comme chair à canon, voulaient bien se donner la main et refuser de faire la guerre, de s'étriper allègrement au nom des plus grands principes, mais pas des grands sentiments ! S'ils refusaient tous de poser des bombes antipersonnelles qui déchirent les membres d'innocentes victimes, enfants d'autres soldats… Marchands d'armes ne dormez jamais en paix ! États qui se félicitaient des dividendes d'une industrie mortelle, de vos exportations et de vos usines d'armements prospères, n'avez vous donc pas une âme ? - Suis-je bête, peut-on demander à un État d'avoir une âme, une conscience ? - Peut-être faudrait-il plutôt poser la question à ceux qui sont à sa tête ?
Faites le PACS ! Si vous découvriez au sein de votre famille un homo, ne voudriez-vous pas, pour lui pour elle, une société plus tolérante et le droit d'avoir des droits ? Si vous naissiez dans un pays aux mains de dictateurs sanguinaires ou d'intégristes fous de leur unique dieu, ne voudriez-vous pas que le monde soit plus accueillant ? Si vous naissiez femme, ne voudriez-vous pas plus de liberté, un sexe respecté et le choix de donner la vie ou de vous abstenir ? Si vous ou un de vos proches attrapiez sur le siège d'une toilette malpropre (…) la nouvelle vérole, la nouvelle maladie honteuse, ne voudriez-vous pas qu'on vous traite jusqu'au bout avec un peu d'humanité et de douceur ?
Cimetières marins. A I'heure des condoléances, c'est l'hypocrisie qui fleurit le mieux. La mort est solitaire, le recueillement et le respect sont le secret de notre mémoire. Les couronnes mortuaires n'engraissent que les fleuristes et l'amour propre des survivants. Respectons donc les vivants avant qu'ils ne disparaissent et ne nous laissent regrets ! Pour qu'ils aient eu raison de vivre ! Que de discours, d'aveux d'amitié, de nobles sentiments, de pensées respectueuses devant la tombe.
Ils étaient là, tous ou presque, de noir vêtu, à serrer les mains des enfants en pleurs, écoutant, I'esprit déjà ailleurs, les paroles du curé cherchant à réconforter la famille. C'est elle seule qui souffre, se sentant coupable de n'avoir pas su montrer à temps son affection et convaincre le désespéré que la vie valait la peine d'être vécue, qu'il y a toujours moyen de payer ses dettes.
Le discours du curé n'en finissait plus, coincé entre I'obligation de faire l'apologie du défunt et la position de l 'église qui n'accepte pas que l'homme puisse choisir l'instant de sa mort. Amis, adversaires, partisans, opposants, alliés, concurrents, ils étaient venus. Tradition oblige, il leur fallait s'afficher, que le deuil soit sincère ou non. Ultime hommage ou corvée protocolaire. Le spectateur averti n'était pas dupe.
Les curieux s'attroupaient, l'apitoiement facile. Ça fait passer un moment, ça donne de la vie à ceux qui restent, ça fait réfléchir à sa mort prochaine. On est content de ne pas être celui qu'on enterre, un peu envieux quand même de la belle et émouvante cérémonie.
Et puis la messe se termine, la dernière poignée de terre est jetée et chacun regagne ses occupations et ses pénates.
- Alors, combien en reste-t-il de candidats ?
- A propos, vous savez, il y a en eu encore un que les affaires rattrapent.
- Que voulez-vous, qui n'a pas de casseroles derrière lui. C'est la faute à toutes ces lois mal fagotées sur le financement des partis. Comment peut-il en être autrement ?
- Au fait, qui sera le prochain maire, un UMP ou un UDF ?
Le mort est bien mort. La vie continue. Et Dieu dans tout ça ?
René Allain - mars 2006 -