J'ai vu le jour sur cette terre
Voici moins, certes, de cent ans
Je suis un enfant de plusieurs pères
Qui m'élevèrent tendrement

Je grandis de plus en plus vite
En nombre et puissance à la fois
Bientôt je n'eus plus de limite
Je fis de plus en plus la loi

Dans les campagnes et dans les villes
Partout maintenant…

Combien vécurent qui moururent
Arrivèrent puis disparurent
Autant en emporte le vent
Je me le répète souvent !

Car en ce monde rien ne dure
Elle est courte notre aventure
Il passe trop vite le temps
Et jamais, jamais il n’attends !

On se dispute et l’on s’embrasse
Cependant que le temps efface
Les êtres vivants tour à tour !

Le ciel est…

Vous aimez ceci, moi cela
Nos idées ne sont pas les mêmes
Nous n’allons pas au même pas
Nous avons chacun nos problèmes

Vous préférez les œufs au plat
Moi, je les préfère à la crème
Et quand je chante les combats
Votre indignation est extrême

Ainsi va le monde, mon cher
Ni nos esprits, ni notre chair
Notre sang…

Dans quel état suis-je, me dis-je ?
En plein échec, en plein essor
Ai-je l’espoir ou le vertige
Quel est mon sens, quel est mon sort ?

A vivre, qu’est-ce qui m’oblige ?
Ici-bas, l’on entre et l’on sort
Que je fasse, ou non, des prodiges
Dans quelques temps je serai mort

Les victoires et les défaites
Les catastrophes et les fêtes
Rien…

Avec de la terre et du feu
Avec de la terre et de l'âme
Avec du cœur et de la flamme
Le céramiste fait son jeu

Et, fier de la forme idéale
Qu'il fait éclore de ses mains
Sur d'incorruptibles chemins
Il poursuit sa marche inégale

Et le génie, ce bel hasard
Mêlant l'esprit et la matière
Fera jaillir cette…

On édifie et l'on défonce
En ce monde où l'on va et vient
Parmi les roses et les ronces
Les grands hommes et les vauriens

Questions qui restent sans réponses
Tant de mal qui se mêle au bien
Que l'on persiste ou l'on renonce
On n'arrive vraiment à rien

Que le temps passe et nous emporte
Que l'on ouvre ou…

Quel âge ai-je, parfois me dis-je
Moi, qui vais parmi les vivants
Souvent déçu, mais décevant
Projetant toujours des prodiges !

Fatigué d'aller de l'avant
Pour d'assez moroses vertiges
Moi, qu'aucun songe ne dirige
J'attends que me pousse le vent !

Je me dis souvent : à quel âge
S'effacera ce personnage
Que je fus, qu'encore je suis ?

Sans chercher le moindre refuge…