Edito. Ne soyons plus spectateurs…
Le statut des femmes au point mort, dans une Europe sous pression d’une droite très à... droite. Signé par ’Emma Rafowicz, député européenne, groupe S&D.
Partout en Europe, l’ombre réactionnaire s’étend et phagocyte des décennies de progrès. En Pologne, bien que le parti d'extrême droite PiS ait perdu le pouvoir, offrant un espoir de changement, il reste encore beaucoup de chemin à faire pour garantir l’accès à l’IVG. En Hongrie, Viktor Orbán restreint méthodiquement l’avortement sous couvert de « défense des valeurs familiales ». En Italie, Giorgia Meloni s’emploie à enfermer les femmes dans leur rôle de mères : elle multiplie les entraves à l’IVG et renforce l’emprise des mouvements anti-choix sur le système de santé.
Ce backlash antiféministe (ou retour de bâton), théorisé par Susan Faludi, s’intensifie sous l’égide d’une internationale réactionnaire hétérogène dans ses acteurs, mais de plus en plus coordonnée dans ses attaques. Les moralistes religieux et les conservateurs convergent au service d’un projet patriarcal, dans lequel le contrôle du corps des femmes est un instrument de domination politique et sociale. Face à ces attaques coordonnées et aux ravages d’un modèle économique qui détruit les conditions matérielles de l’émancipation, l’Europe doit se réveiller et bâtir un front féministe commun.
Imposer un bouclier féministe européen
Le droit des femmes doit cesser d’être une variable d’ajustement des alternances politiques. La clause de l’Européenne la plus favorisée chère à Gisèle Halimi s’impose dès lors comme une nécessité. Mais harmoniser vers le haut ne suffit pas. Il faut sanctuariser les droits en inscrivant l'IVG dans la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne et aller au-delà de la directive sur les violences faites aux femmes en reconnaissant les violences de genre comme un crime européen. Enfin, la Convention d’Istanbul ne peut plus être un engagement à géométrie variable : elle doit être ratifiée et appliquée, sans exception, par tous les États membres.
Briser l’exploitation économique des femmes
Les femmes assument l’essentiel du travail non rémunéré, occupent des métiers sous-payés et subissent des biais fiscaux. L’émancipation ne sera toutefois qu’un leurre tant que l’ordre économique et social reposera sur une exploitation genrée. Il est urgent de reconnaître et de mieux répartir le travail caché domestique. Si l’« European Care Strategy » est un premier pas, elle reste insuffisante. Nous devons structurer un « European Care Deal » ambitieux aux instruments contraignants. Nous devons revaloriser les métiers où les femmes sont surreprésentées et réformer une fiscalité encore trop sexiste, en supprimant notamment la taxe tampon. Ces mesures sont essentielles pour briser l’inégalité structurelle qui enferme les femmes dans une dépendance économique.
Structurer un contre-pouvoir féministe
Alors que les mouvements anti-choix prospèrent grâce aux millions injectés par des réseaux ultraconservateurs, les associations féministes, en première ligne dans la riposte contre l’extrême droite et les conservateurs, restent sous-financées par les pouvoirs publics. L’Union doit mieux surveiller les fonds des mouvements anti-choix en imposant une transparence totale sur leurs financements. Parallèlement, face aux limites du financement horizontal, elle doit créer un fonds européen de soutien aux acteurs engagés pour les droits des femmes, à l’image du Fonds de soutien aux organisations féministes en France. Ce fonds permettrait de renforcer les associations féministes, les services publics de santé sexuelle et reproductive, ainsi que les structures d’accueil et d’accompagnement des victimes.
Gagner la bataille culturelle
Enfin, la bataille culturelle doit être menée sans faiblesse ni complexe. L’espace médiatique et numérique ne peut plus être abandonné aux réactionnaires. Nous devons construire une contre-offensive idéologique et stratégique, qui impose un nouveau narratif politique axé sur l’émancipation des femmes et le démantèlement des structures de domination. L’éducation à la sexualité doit être un levier essentiel pour déconstruire les normes de genre, en étant reconnue comme un droit fondamental et en garantissant une harmonisation des programmes à l’échelle européenne.
Emma Rafowicz