Propos sur la décentralisation

par Paul Graziani *

Aurait-on perdu plus de trente ans pour réformer la France, avec pour levier la décentralisation ? La question peut paraître curieuse mais elles se justifie pour qui est fidèle à ce legs exigeant du Général De Gaulle. Son nom s'efface peu à peu des références du débat politique. Affaire de génération politique ?

Pourtant, dès 1969, en visionnaire, le fondateur de la Vème République avait montré le chemin d'une refondation de l'architecture politique et administrative de la France. Et déjà, dans Vers l'armée de métier, c'est à dire en 1934, il y a 70 ans, il écrivait : "la seule voie qui conduise à l'esprit d'entreprise, c'est la décentralisation". Dans Le Mal Français, permanent hélas, Alain Peyrefitte rappelait que le message du Général était : "La priorité des priorités, c'est de remodeler la France pour libérer les énergies des Français. La grandeur, devant l'Histoire et devant l'étranger, viendra de surcroît quand la France aura trouvé, à l'intérieur d'elle-même, un nouvel équilibre".

Face à une crise de civilisation De Gaulle avait eu la prémonition d'une solution politique stratégique fondée sur le ressourcement indispensable de l'action publique au plus près des réalités du terrain. Mais son génie historique, sa science, furent surtout d'avoir compris la nécessité de mettre fin à la centralisation précisément pour revitaliser la France à partir de ses forces vives, du pays réel, de l'énergie des "petites patries". Il avait posé les bases d'une politique dont on semble redécouvrir, sans oser l'avouer vraiment, les vertus et les nécessités…plus de trente ans plus tard.

On pourrait multiplier les comparaisons pour souligner les analogies et les différences, d'époque en époque, mais rien que l'invocation omniprésente de la proximité comme enjeu de la politique actuelle suffit. En 1977, le mouvement gaulliste écrivait dans ses Propositions pour la France : "contrairement aux autres pays, la France n'a pas encore l'expérience de cette liaison constante et intime entre la démocratie locale et la démocratie globale. Le moment est venu d'en faire l'apprentissage".

Plus de vingt ans ont passé depuis les lois Defferre de 1982. Pour ma part, la décentralisation a été une conviction profonde qui a guidé mon action dans l'exercice des mandats électifs qui m'ont été confiés pendant près de quarante ans. En 1982, alors Président du Conseil Général d'un puissant département, j'ai eu la responsabilité de mettre en place les nouvelles structures de ce département (le Président devenant le véritable patron exécutif du Département et le Préfet un Commissaire d la République) puis, plus tard au Sénat, d'être désigné en qualité de Rapporteur de l'important projet de loi sur l'Organisation Territoriale de la République.

Le bilan contrasté de la décentralisation d'alors débouche maintenant sur une nécessaire "redistribution" des pouvoirs locaux et du périmètre d'action de l'État. La tâche est particulièrement ardue, d'autant que le citoyen-électeur-contribuable devra être considéré, à priori, comme le consommateur final de cette nouvelle réforme de fond. La montée des abstentions sanctionne aussi l'illisibilité des responsabilités politiques et le local n'y échappe plus. Retrouver le citoyen passe par sa participation. La participation : encore une certaine idée gaullienne à redécouvrir…

Le moindre des défis de toute nouvelle étape législative de la décentralisation sera, pour le gouvernement et de sa majorité, d'y trouver une dimension et une portée dignes de l'enjeu. Cet enjeu vital, c'est toujours celui de la Réforme de l'État et de la place centrale du citoyen.

Il a fallu une génération pour en comprendre l'urgence mais l'on permettra aux "vieux gaullistes décentralisateurs", de défendre avec ardeur l'actualité de l'ultime message d'un républicain nommé De Gaulle.

  • Paul Graziani est Président-fondateur de l'Institut de la Décentralisation, Président d'honneur du Conseil Général des Hauts de Seine, ancien Député et ancien Sénateur-maire de Boulogne-Billancourt. Il est l'auteur d'un ouvrage de référence "Le nouveau pouvoir - essai sur la décentralisation" aux éditions Albin Michel.