Un troisième casino à Cannes : pourquoi faire ?
Pour renflouer Cannes avançait « Le Point » du 29 novembre 2002.
- Nous mettons en ligne cet article signé Pierre Casanova et publié dans notre magazine papier, en janvier 2003. Il éclaire la situation actuelle et sert de référence à notre article de demain : l’âge d’or des casinos est terminé…
« La loi du 15 juin 1907, en accordant aux casinos l’autorisation d’exploiter certains jeux de hasard, demandait en contrepartie à ces établissements de devenir les véritables animateurs des stations de villégiature et de participer à la rénovation des infrastructures hôtelières.
Cette législation ne disait rien du rôle de « bouche-trou » auquel certains voudraient réduire les casinos. Elle avait raison, d’ailleurs, car avec deux casinos en exploitation, Cannes serait encore - selon l’hebdomadaire - au fond des eaux. Le mot renflouer ne fait pas nécessairement penser à une escouade de croupiers en tenue de festivaliers, armés de râteaux, aux portes de la cité. Davantage à quelques bénévoles déguisés en cosmonautes sur les bords d’une plage de Galice. Peut-on croire dès lors aux vertus curatives d’un troisième établissement et n’y a-t-il pas risque à vouloir prescrire à la commune un remède plus dangereux que le mal ?
Souvenez-vous de 1996. Quelques mois avant l’ouverture du troisième casino cannois, on découvrit dans sa comptabilité… un trou. Ce fut la cause de sa fermeture. Paradoxalement, c’est aussi un trou qui justifierait sa réouverture.
Le 13 août 2002, le groupe Partouche inaugurait le Palm Beach. Le transfert de l’autorisation des jeux du Carlton était enfin autorisé. Mais qui peut croire que ce casino retrouvera son lustre d’antan, celui décrit par Pierre Rey dans l’Oncle, en exploitant 50 machines à sous ? Qui peut croire qu’en l’état, il pourra faire face aux pharaoniques investissements que sa vétusté réclame ? Son cahier des charges le limite à 100 machines alors qu’une autorisation immédiate de 150 slots redonnerait un peu de plumes aux danseuses de la terrasse du Masque de fer.
Le casino Barrière de Cannes Croisette attend qu’on veuille bien lui octroyer les cinquante machines promises après un investissement de 6,5 millions d’€ en 1999. Attend depuis plusieurs années une autorisation pour mettre en place un escalier d’accès à son restaurant des jeux, attend le permis de construire qui permettra de réaménager sa façade peu gracieuse.
Deux casinos cannois privé d’hormone de croissance et qui pourraient partir en brioche aux premiers frimas.
Il n’existe aucune ville en France exploitant trois casinos. Quatre ou cinq en exploitent deux et ça ne marche pas. Les guerres marketing intra-muros que ces configurations entraînent aboutissent toujours à la mort du petit.
Les temps ont changé et depuis 1976, c’est l’Etat qui gère le plus gros casino. Ses nouveaux jeux sont accessibles dans toutes les buvettes et les mineurs n’y sont pas contrôlés. Le vendredi 13 décembre 2002, tous les journaux de toutes les chaînes confondues incitaient les millions de téléspectateurs à tenter leur chance au Loto. La Française des Jeux a droit aux meilleures tribunes. Depuis peu, les jeux en ligne, absolument interdits mais absolument accessibles, racolent les ménagères en charentaises et bigoudis.
Alors que les trente premiers casinos français affichaient une croissance de 1,5 % après deux mois d’exercice 2002-2003 (elle se situait jusqu’alors entre 8 et 11 %), il est facile d’imaginer l’avenir. Un troisième casino à Cannes serait en droit d revendiquer l’obtention de 150 slots. Si Palm Beach et Croisette obtenaient leur quota, et nous pensons qu’il y va de leur survie, Cannes abriterait un parc cumulé d’environ 650 machines à sous.
Irréel, économiquement sans fondement et donc suicidaire ? La dilution du produit brut des jeux sur trois établissements pourrait avoir un effet pervers : une baisse des tranches de prélèvements et donc une érosion des recettes budgétisées. « L’offre différente » qu’apporterait un 3ème casino a-t-elle un sens ? Il y a déjà longtemps que les municipalités ont fait main basse sur l’enveloppe que les casinos destinaient à leur programmation. Les directeurs artistiques ont mangé leur canotier, rendu leurs costumes de Monsieur Royal et leurs remplaçants ne font que réinventer la fête à « Neu-Neu ».
En privant les établissements de jeux de leur vocation à produire ou à coproduire les grands spectacles, les villes ont clairement signifié qu’elles étaient les seules à posséder le savoir-faire. Dès lors, invoquer l’intérêt culturel du 3ème casino, n’est-il pas un brin insidieux ?
Les casinos se ressemblent tous et se battent sans relâche pour proposer les meilleurs produits périphériques, bars, restaurants, discothèques et tombolas gratuites. Mais, ils se différencient par leur capacité à faire rêver. En ouvrant un 3ème casino, la ville de cannes prend peut-être le risque d’affaiblir les deux casinos existants. Prend le risque d’en faire de petits casinos. Et les petits casinos ne font pas rêver ! »
Pierre Casanova – janvier 2003 –