Vers la fin du secret professionnel pour les avocats d’affaires et autres conseils ?

Catégorie Les paradoxales

Une tribune signée par Philippe Buerch, notaire, fondateur de l’Étude Clarélis, Cannes


Le diable se cache souvent dans le détail, alors que les yeux sont rivés sur le projet de loi de Finance, il se pourrait bien que la principale mesure fiscale de l'automne se niche dans une ordonnance sonnant le glas du secret professionnel pour les avocats d’affaires et autres conseils.

En effet, la France doit transposer d'ici à la fin de l'année une directive européenne imposant aux conseillers fiscaux et à leurs clients de déclarer leurs schémas d'optimisation à l’administration, transformant ainsi les avocats fiscalistes en agent de renseignement pour le fisc !

Si cette volonté gouvernementale de transparence fiscale exacerbée peut paraître légitime dans un contexte où le contribuable français lambda s’indigne des multiples scandales d’évasions fiscales de ces dernières années, il ne faudrait pas d’une part commettre une erreur de sémantique entre « évasion » et « optimisation » fiscale, qui conduirait à une erreur bien plus grave consistant à faire croire insidieusement que l’optimisation fiscale aurait un caractère illégal, et d’autre part céder à une pression populaire démagogique qui priverait chacun de la liberté de mieux organiser son patrimoine pour en assurer sa transmission.

Ainsi, cette mesure pourrait non seulement faire peser une suspicion malsaine sur plusieurs générations, mais aussi priver parents et héritiers du droit fondamental de gérer en toute pertinence le fruit de leur labeur, ce qui rend cette pression fiscale outrancièrement intrusive et injustement confiscatoire.

Si certaines dérives fiscales ont motivé cette ordonnance, nous craignons que pensant lever certains flous, elle n’entraîne une dérive morale de la société, qui se dirige vers une institutionnalisation de la délation, de la dénonciation, et une entrave des valeurs fondamentales de protection et de liberté !

Le secret professionnel est plus que le pilier fondateur de l’indépendance et de la liberté des avocats, il est ce qui assure la défense de chaque citoyen. En levant cette confiance, nous faisons un pas de plus vers la défiance de nos Institutions.

Cette rigueur effrénée unilatérale pourrait être contre-productive en entraînant la délicieuse ironie de « l’évasion de l’optimisation fiscale », en effet, il n’est pas à exclure que cette nouvelle captation d’impôts entraîne le déplacement de l’activité de conseil à Londres, où les avocats seront exonérés de cette obligation avec le Brexit, ou dans d'autres États européens qui transposeraient cette directive de manière moins stricte.

Mais avant d’en arriver là, il est fort probable que si le projet d'ordonnance reste en l'état, la profession l'attaque devant la Cour européenne de justice, il ne s’agit pas de corporatisme mais d’assurer à chaque citoyen une relation de confiance essentielle au bon fonctionnement du système juridique, bancaire et financier.


 Philippe Buerch