Présidentielles : le vote des pieds-noirs et de harkis pèsera dans la balance...

Les candidats l’ont bien compris qui multiplient les appels du... pied.

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Pas sûr que ceux qui se sont retrouvés sur le quai de Marseille en provenance d’Algérie aient pardonné au général De Gaulle de les avoir conduits là. Pour eux, d’autres questions restent encore en suspend pour qu’ils puissent vraiment faire le deuil de leur terre d’origine. Les pieds-noirs qui ont laissé, outre des souvenirs, des tombes, et les harkis toujours considérés comme des traitres par leurs compatriotes dont beaucoup possèdent la double nationalité... Ainsi, avant-hier, à Perpignan, le président-candidat, Nicolas Sarkozy, reconnaissait la responsabilité historique de la France vis-à-vis des harkis, abandonnés (désarmés) en Algérie.

Jocelyne Mas nous faisait part, au lendemain du jour anniversaire de la fusillade du 26 mars 1962 à Alger, combien, pour les rapatriés comme elle, la douleur était encore vive :
Aujourd'hui, 50 ans après, les souvenirs, jusqu'alors bien enfouis au fond de notre cœur, ressurgissent, vifs, tranchants. J'entends encore le cliquetis des armes, le bruit sec des culasses, les hurlements d'effroi, de douleur. Je revois l'affolement général, le sang, les blessés rampant pour trouver un abri. Le souvenir de cette journée est inscrit en larmes de sang et ne s'effacera qu'à notre mort. Revivre cette tuerie est effroyable : mon cœur est pris dans un étau, mon corps se couvre de sueur, je tremble de tous mes membres et cette peur latente ressurgit. Pourquoi ne peut-on gommer les évènements comme on gomme un mot sur une feuille de papier ? Et pourtant il faut que les enfants et petits-enfants sachent ce qui s'est passé, il faut avoir la force de leur raconter en espérant qu'ils ne voient jamais une telle horreur. 

C’est pour ce devoir de mémoire que Jocelyne Mas a écrit un livre, Il était une fois ma vie, Alger la blanche. Elle y décrit des événements vécus :

« Le 26 mars 1962, ma mère, mon frère et moi, Madame Ortéga, amie de toujours, ses trois enfants Wilma, Lynda et Serge, accompagnés de nos amies et voisines, chargées de victuailles, de lait en poudre pour les bébés, rejoignîmes la foule pacifique de femmes et d’enfants se dirigeant vers les quartiers de Bab-El-Oued qui depuis plusieurs jours faisaient l’objet d’un blocus inacceptable. Blocus d’un quartier français par l’Armée Française ! La solidarité des Français d’Algérie joue encore une fois. Ils sont sans ravitaillement, sans médicaments, les militaires fracturent les portes des appartements, molestent les hommes, les femmes et les enfants, détruisent tout avec joie : Pieds Noirs pourris ! Ils vident de leur contenu tous les placards, au sol l'huile se mêle au sucre et à la farine en cette période où les denrées sont si rares.

Devant la Grande Poste, magnifique édifice de style néo-mauresque, un cordon de Gardes Mobiles revêtus de l’uniforme de gendarmerie mobile nous barre la route, nous parlementons : Voyez ! Nous ne sommes pas armés, nous sommes des femmes, des enfants, nous portons seulement des produits de première nécessité à nos compatriotes... Les pièces d'artillerie appartiennent au 4ème Régiment des Tirailleurs, des F.M. sont sur les terrasses, mais les soldats ouvrent le barrage et nous laissent passer. Le lieutenant Ouchène est très nerveux : Partez ! Partez ! Ne restez pas là !

Nous crions notre joie : L'armée avec nous ! mais un soldat musulman qui semblait très nerveux nous dit : N'avancez pas, ils vont tirer ! Nous avions fait à peine dix mètres qu'une détonation a claqué suivie d'un mitraillage en règle. La fusillade a duré 11 minutes ! Une éternité ! Les gens courraient dans tous les sens, essayant de s'abriter dans les entrées d'immeubles. Ma mère et mon petit frère poussés par la foule sont partis d'un côté tandis que moi, ne sachant où aller, je m'aplatissais sous une voiture en stationnement. Il y avait du sang partout, des lambeaux de chair, mon cœur battait la chamade, je m'inquiétais pour ma mère et mon frère, je tremblais de tous mes membres. Halte au feu ! Halte au feu ! Enfin les mitraillettes se sont tues. Les ambulances sont arrivées tout de suite ! Étaient-elles déjà là dans les rues adjacentes ? Une femme hurlait sur le corps de son fils, le drapeau français baignait dans le sang de ses enfants. Les tirailleurs portant des casques verts, W 4 (Willaya 4) écrit à la craie, étaient des gens du djebel, d'origine maghrébine, surarmés, avec des gilets porte-grenades. Des automitrailleuses étaient à chaque coin de rues. Les officiers hurlaient le cessez-le-feu mais les soldats continuaient de tirer.

Certains civils furent abattus à bout-portant. Le Docteur Massonnat en blouse blanche est à genoux et essaie de soulager un blessé. Il est abattu d'une balle dans la tête. Des camions GMC bâchés, apparemment vides avec seulement le chauffeur, attendaient. Après la fusillade, des soldats sortirent des civières de ces camions et commencèrent à ramasser les corps. Tout était donc bien prémédité !

D'autres CRS ouvraient le feu du tunnel des Facultés à la rue Michelet et à la rue d’Isly. À la morgue, les corps furent alignés par terre, nus, sur trois niveaux sur des paillasses, parmi eux des fillettes, un bébé, des femmes. Sur ordre des autorités, les corps seront enlevés au petit matin, par camions militaires, ensevelis à la sauvette, sans même une cérémonie religieuse. C'était un véritable piège. Pour les survivants, la terreur s’installe : le rêve est brisé.

Nous sommes traumatisés, beaucoup d’entre nous refusent d’admettre la vérité : à savoir qu’une troupe française a tiré sur nous, des Français désarmés, des femmes, des enfants ! Notre moral est très atteint. Nous compriment à ce moment-là que la partie était perdue. Les épreuves étaient pourtant loin d’être terminées. La violence allait engendrer la violence !

Le 18 juin 1962, nous quittions l’Algérie, cette terre où sont restés nos arrières grands-parents, qui l'ont enrichi de leur corps et de leur sueur ». CQFDire !