Des maux et des mots…

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Catégorie Les paradoxales

Fernand Dartigues, dans un de ces éditoriaux des années 60, qui le caractérisait, jouait encore une fois avec les mots. En ces temps de Covid, il eut parlé d’autres maux, ceux qui nous affligent aujourd’hui...


 - Fernand Dartigues, 1959, rue Auber, Cannes -


Plus j'écris et plus je suis enclin à rechercher la définition des mots que j'utilise. Or, depuis que je m'adonne si fréquemment à cette recherche, guidé par le souci d'employer le terme propre, cela me rend perplexe. Je feuillette, en effet, le dictionnaire, ce qui me vaut le plus souvent une déception : celle de n'y trouver que très approximativement le sens que j'attribuais à ce terme. Ou plutôt, je trouve sa définition trop sèche, trop schématique par rapport à l'idée que je m'en fais.

Si je veux parler de la vie et que je prenne le Petit Littré (à cause surtout de son emploi facile), je lis : en général, état d'activité de la substance organisée, commune aux plantes, aux animaux. Pour ce qui est du temps, je trouve : la durée des choses, en tant qu'elle est mesurable. Et si je veux savoir ce qu’est la justice, en voici la définition : règle de ce qui est conforme en droit de chacun ; volonté constante et perpétuelle de donner à chacun ce qui lui appartient.

- Que trouvez-vous à redire à cela ?

- C'est suffisant, à votre avis ? Si nous partions de zéro, que signifieraient pour nous cette activité de la substance organisée, cette durée des choses, cette conformité au droit de chacun ? Rien du tout pour celui qui n'en aurait pas déjà une expérience, plus ou moins riche. Ce qui lui permet de s'être formé une idée à propos des choses que l'on nomme la vie, le temps, la justice.

- Une idée mouvante et très imparfaite, j'en conviens.

- Sans aucun doute, et c'est par là que cela devient intéressant. Selon la façon dont nous avons vécu selon notre milieu, notre culture, notre nature, la notion de vie. De temps, de justice et le reste ne saurait avoir le même sens. Au demeurant, aucun mot ne revêt la même signification pour chacun d'entre nous, aucun terme ne prend un sens identique dans chaque esprit.

Je viens de me servir, coup sur coup, de mot et terme, qui semblent pouvoir être utilisés indifféremment. Sans vouloir subtiliser outre mesure, il est des cas ou l'un est préférable à l'autre, puisque - toujours d'après ce même dictionnaire - le mot est un son qui a un sens, le terme est tout autant une expression qu'un mot. Vieil imbécile, par exemple, n'est rien d'autre qu'un terme, une expression déplaisante. Déplaisante est un de ces mots à propos desquels on ne peut se méprendre ; notre vocabulaire en comporte bien d’autres dont le sens est des plus nets. Par contre, nombre d’entre eux sont sujets à interprétation. Les plus importants, somme toute.

- Des mots comme : amour, vérité, égalité ?

- Qu'en dit le dictionnaire ? Sentiment d'affection d'un sexe pour l'autre. C'est intéressant ! Quiconque a aimé ne peut manquer de trouver ça un peu maigre. Pas question de désir, de ferveur de passion ? Affection ? Encore un mot équivoque dont le Littré nous apprend qu’il est tout à la fois : ce que le corps éprouve, surtout en fait de maladies, ainsi qu'une manière d'être de l'âme considérée comme touchée de quelque objet.

Pour ce qui est de la vérité, ceci me parait assez troublant : qualité par laquelle les choses apparaissent telles qu'elles sont... Quant à l'égalité, elle est la qualité de ce qui est égal. Mais s'il s'agit de l'égalité devant la loi, c'est : la condition d'après laquelle tous les citoyens sont sujets de la loi, sans exception ni privilège. Voilà qui peut donner à réfléchir, n'est-ce pas ?