Les carnivores s’affolent : leur ferait-on manger halal sans qu’ils le sachent ?

Catégorie Les paradoxales

Le chroniqueur impénitent du « Cannois déchaîné », Michel Emeriau, vient de publier sur son Canard qui se veut satirique et politiquement engagé, un dossier bien argumenté sur la viande halal et les abattoirs qui pratiquent cette... boucherie traditionnelle.

- Halal ou pas Halal -

« Le reportage de France 2, La viande dans tous ses états, diffusé il y a une semaine dans le magazine Envoyé Spécial, n’en finit pas de susciter les polémiques et d’alimenter les conversations. De quoi s’agit-il ? Le reportage met en lumière le fait que 100% des abattoirs de la région parisienne, hors charcuterie, pratiquent l’abattage des mammifères selon le rituel Halal. Intervenant en plein bagarre pour les présidentielles, le débat ne cesse d’enfler et n’est pas exempt d’arrières pensées électorales.

- Que dit la loi française ? -

La loi (décret 64-334 du 16 avril 1964) rend obligatoire pour les abattoirs français l’étourdissement des animaux de boucherie et de charcuterie. En outre la trachée et l’œsophage doivent rester intacts lors de la saignée. En effet le contenu de l’estomac ne doit pas pouvoir contaminer la viande située à proximité de la blessure. Cependant, de récentes dispositions du droit français (article R. 214-70) comme du droit européen (règlement du Conseil du 24 septembre 2009) prévoient une dérogation à cette obligation lorsque l’étourdissement n’est pas compatible avec les prescriptions rituelles relevant du libre exercice du culte. Or, pour le rituel Halal, les animaux doivent être mis à mort moyennant une incision profonde et rapide avec un couteau effilé sur la gorge, de façon à couper les veines jugulaires et les artères carotides bilatéralement et rapidement, mais en laissant la moelle épinière, afin que les convulsions améliorent encore le drainage. La loi française répond donc à deux exigences, l’une concerne la sécurité sanitaire, l’autre concerne la souffrance animale, tout en respectant, à titre dérogatoire, le libre exercice du culte.

- Première exigence, assurer la sécurité sanitaire -

Pascale Dunoyer, chef du Bureau des établissements français d’abattage et de découpe à la Direction Générale de l’Alimentation, indique dans le Bulletin de l’Académie Vétérinaire de France que ce mode d’abattage peut avoir des conséquences en termes de salubrité et de sécurité des carcasses, puis explique que le tranchage de la trachée et de l’œsophage (…) peut provoquer le déversement du contenu gastrique (voire pulmonaire) sur les viandes de têtes, de gorge et de poitrine. De son côté, Jean-Louis Thillier, expert en sécurité sanitaire, affirme que l’abattage sans étourdissement a pour conséquence une augmentation des contaminations par la bactérie intestinale Escherichia coli car le contenu de l’œsophage et des intestins des animaux risque de souiller la viande, particulièrement les quartiers avant qui finissent dans les steaks hachés. Le vétérinaire Michel Courat, membre d’Eurogroup for Animals note que lors de la section de la trachée et de l’œsophage, il y a un reflux du contenu des estomacs qui souille la coupe de la viande, notamment chez les ovins.

- Seconde exigence, combattre la souffrance animale -

Selon un rapport d’expertise scientifique sur les douleurs animales, publié par l’INRA (l’Institut National de la Recherche Agronomique) en décembre 2009, le temps de perte de conscience, et donc de la souffrance, chez les bovins peuvent atteindre 14 minutes : Chez les veaux et les bovins adultes, on observe une grande variabilité dans la perte de conscience des animaux avec des extrêmes de 8 secondes à 14 minutes, qui s’explique par la formation de faux anévrismes dans les durées les plus longues. Des études sur le terrain montrent que, après les abattages musulmans (halal) et juifs (shechita), la formation de faux anévrismes est observée chez 17 et 18 % des bovins, respectivement.

- Une dérive inacceptable -

Il n’est évidemment pas question de stigmatiser une pratique religieuse et encore moins une communauté, qu’elles soient juives ou musulmanes. En effet, les Musulmans de France, comme les Juifs de France, ne sont en rien responsables du fait que l’abattage rituel ait atteint aujourd’hui 32% alors qu’eux-mêmes ne représentent que 7% de la population. En fait, la faute revient à certains abattoirs qui pratiquent l’abattage rituel pour des raisons de rentabilité économique. En effet, si les boucheries Halal n’acceptent que de la viande Halal, il n’en n’est pas de même, en sens inverse, des boucheries traditionnelles. Or, en voulant fournir tous les types de boucheries, ces abattoirs s’exonèrent d’avoir deux chaînes d’abattage distinctes tout en faisant mine d’oublier que l’abattage rituel n’est qu’une dérogation de la loi de 1964. En violant manifestement cette loi de 1964, les abattoirs concernés augmentent non seulement les risques sanitaires pour les consommateurs mais, circonstance aggravante, ils violent la conscience de ceux qui souhaitent que les animaux soient abattus dans le respect de la souffrance animale. Il est donc urgent que les professionnels de la filière agroalimentaire d’abattage reviennent à la loi de 1964 et que les préfets la fassent respecter. Mais pas seulement.

- La transparence s’impose -

Il apparaît tout aussi urgent que les législateurs imposent enfin la transparence sur la méthode d’abattage utilisée par les professionnels de la filière. Les consommateurs entendent beaucoup parler de traçabilité en matière alimentaire. Aujourd’hui, nous en sommes même arrivés à demander aux restaurateurs de préciser sur leur carte si les plats étaient d’origine congelée ou pas. La viande proposée aux consommateurs doit désormais comporter mention précisant la méthode d’abattage. Il s’agit du respect de la conscience du citoyen consommateur. Mais, il est fort possible que les législateurs aient d’autres choses en tête par les temps qui courent.

Alors, en attendant que la loi soit votée, nous appelons tous les consommateurs à poser systématiquement la question à leur boucher : Abattage Halal, ou abattage traditionnel ? »

  Michel Émeriau – Le Cannois déchaîné -


  • NDLR : l’État laïque français permet la libre pratique des religions. Une place longtemps occupée par la Chrétienté qui partageait le pouvoir politique avec les rois de France, tout comme de nombreux autres souverains européens régnants. La révolution de 1789 allait amorcer son déclin. Le Judaïsme, de part son attitude respectueuse des lois, put en faisant preuve de discrétion, profiter ainsi de dérogations comme celle d’avoir ses propres écoles. Dans cette brèche, l’Islam, venu essentiellement du continent africain, s’installe en République mais, pour beaucoup de ses pratiquants et de leurs leaders, la religion se place au-dessus du pourvoir temporel et de ses contraintes ordinaires. Le dossier du Halal est un des exemples des demandes d’ajustement des lois républicaines et d’un mode de vie façonné au cours des siècles à l’intérieur de l’hexagone, à la religion musulmane forte maintenant de plus de cinq millions de membres en France. On peut s’interroger sur la suite des évènements. De dérogation en dérogation, d’exception en exception, les règles qui régissent notre quotidien risquent d’évoluer de façon drastique. Quid de la tolérance bâtie autour de la laïcité ? À ce rythme là, elle n’aura plus de raison d’exister.