Cannes : Trintignant fait résonner des « Paroles » en « L’honneur des poètes ».

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La performance littéraire et théâtrale de l’acteur français n’a pas laissé de marbre les spectateurs des Nuits du Suquet.

« Mourir pour des idées, l'idée est excellente ». Qu’aurait dit Georges Brassens en voyant l’auteur des attentats de Norvège citer John Stuart Mil sur twitter, comme slogan de sa tuerie sanguinaire ? Cette interprétation politique du philosophe anglais nous rappelle l’impact idéologique de la littérature. Littérature qui s’est voulue libertaire en marge du mouvement anarchiste ou d’extrême gauche. Mais qu’allait donc faire cette anarchie dans le centre historique de Cannes à la fin du mois juillet ? Un coup de Jean-Louis Trintignant, évidemment !

Dimanche 24 juillet. La nuit tombait sur la ville du cinéma, dévoilant son littoral lumineux. Le mauvais temps avait rafraîchi les idées des touristes aventuriers. Monter au Suquet peut paraître ainsi une utopie mais se révèle beaucoup plus anarchiste. Le vent qui s’élevait du Palais des Festivals se faufilait dans les parkas des curieux transis de froid mais marquait de son sceau le haut cannois. Les jeunes talents dits « Pianotokés » s’affrontaient dans un match de piano, autour d’accords musclés, laissant échapper quelques notes du Musée de la Castre alors que, face à l’Église Notre-Dame de L’Espérance, les chaises dansaient devant le comptoir des Nuits du Suquet, donnant à la vieille cité un aspect fantastique.

C’est dans cet univers enchanteur que l’acteur Jean-Louis Trintignant, accompagné de l’accordéoniste Daniel Mille et du violoncelliste Grégoire Korniluk, a récité des poèmes de Jacques Prévert, Boris Vian et Robert Desnos. Flanqué de ses 2 musiciens, le frêle comédien déclare, dès son entrée sur scène : « Quand l’auteur et les musiciens sont mauvais, l’applaudissement les rend pire. » La tonalité est annoncée.

Pourtant, dès la première phrase, les spectateurs sont amenés dans un voyage entre « chat, oiseau » mais aussi « île déserte » avec des « étranges étrangers ». Un voyage pas toujours joyeux où seule la voix de l’interprète vient tempérer ou exagérer cet univers morbide. Rappelant « je mourrai d’un cancer (de la colonne vertébrale) » ou « je voudrais pas crever » de Boris Vian, Jean-Louis Trintignant joue de sa voix comme d’un instrument, rauque sur les mots graves, le souffle long sur les syllabes rondes, la dramaturgie est à son point d’orgue. Le rire est aussi au rendez-vous puisque l’acteur s’amuse à alterner humour et litanie notamment avec les « Paroles » de Prévert qui ont été accueillies dans le rire pour les spectateurs.

La lecture sans support de texte est aussi littéraire, mettant en relation les poèmes hommage de Prévert à Desnos ou racontant la dernière œuvre de Desnos, écrite en déportation. Avec de tels poètes aussi joueurs de mots que chasseurs de préjugés, la révolte n’est jamais loin. La lecture de la version avant censure du Déserteur de Boris Vian révèle de la violence mais aussi de la détermination originelle anti militariste.

Les rafales se glissant parfois en trombe dans les recoins du parvis de l’église du Suquet n’ont fait qu’accentuer sur le caractère fantasmagorique du comédien aux cheveux hirsutes de troubadour sans lyre !

Un acteur qui sitôt le récital terminé file en coulisses savourer les derniers applaudissements de la foule. Le spectacle n’a peut-être pas convaincu les amateurs de musique, frustrés par les rares interventions des 2 musiciens, qui pourront se consoler au Festival de musique de chambre de Saint-Paul de Vence qui s’achèvera demain. Les autres, déconcertés par la gravité des œuvres choisies mais saluant la performance artistique, trouveront leur compte aux Nuits du Château de La Napoule.