Canada : séjour à Whitehorse, capitale du Yukon,

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bien loin de Vancouver, la cité propre, et des paysages alpins de Jasper…

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  • deuxième article sur le sujet, ici.

Lorsque je descends du bus, à 5 heures du matin, un pâle soleil se lève. Je récupère, un peu groggy, mon bagage. Nous sommes vers la mi-août et, à cette latitude (60° 41', Nord), les journées sont encore longues. L’air est humide et froid. Personne dans les rues. Accompagné par Brock, je déambule dans une ville qui a du mal à émerger. Premiers contacts avec de jeunes amérindiens. Ils demandent des cigarettes et bientôt de l’argent, sans agressivité, comme si leurs demandes allaient de soi. Nous nous rabattons dans un de ces lieux indéfinissables pour un Français, sorte de bar où l’on ne servirait pas d’alcool, à mi chemin entre le fast-food et la cafétéria. Mauvais café, selon les standards… européens et des viennoiseries médiocres, selon mes propres standards. De plus, tout est excessivement sucré. Nous nous mettons à la recherche d’un camping que nous trouvons à une demi-heure à pied du centre ville.

- photos © Romain Dartigues -

Whitehorse nord Barrage hydroélectrique de Whitehorse


Le camping porte le nom de Robert Service, un Anglais immigré au Canada en 1894. La banque pour laquelle il travaille, le nomme à Whitehorse. Inspiré par la nature sauvage qui l’entoure, il se révèle être un excellent écrivain qui dépeint à merveille le Grand nord. Son poème The Cremation of Sam McGee lui donne une renommée internationale et le respect des habitants du Yukon. Curieusement, il décidera de s’installer en France où il finira ses jours.

Ce « Cheval blanc » qui se trouve sur la fameuse Alaska Highway, plus souvent appelée AL-CAN, est le passage obligé vers Dawson city, construit par et pour les prospecteurs d’or. Certains vont plus loin vers le Nord, vers les espaces glacés près de l’Arctique. Les 25 636 habitants recensés de la capitale du Yukon occupent un territoire immense, à la mesure d’une Province qui ne compte en tout et pour tout que 33 928 résidents et dont la superficie est comparable à celle de l’Espagne ou de la Suède. Je découvre la ville, en grimpant vers l’aéroport international. Installé en surplomb des habitations, il occupe une situation pour le moins singulière (voir la photo ci-dessus, à gauche).

Les jours qui suivent, j’explore la ville et ses alentours. Jusqu’à présent, je ne pouvais la séparer de tout un imaginaire lié à la Ruée vers l’or de la fin des années 1800. Indissociablement attaché aussi à des ouvrages de Jack London qui vint participer à cette fièvre. Il en résulta Croc Blanc, L’Appel de la forêt, Construire un feu

J’avoue être un peu déçu. Que reste-il de cette épopée, merveilleusement évoquée par Charlie Chaplin dans un film muet de 1928, sinon quelques images d’Épinal, des affiches un peu défraîchies et quelques photos qui ornent le Musée du coin. Quant au petit film édulcoré projeté par l’Office de tourisme, je vais vite m’en apercevoir, il est loin de refléter la réalité.

- Crédit Hougen Group 1976 et photo Anton Vogee -


Est-il politiquement correct d’évoquer les problèmes des amérindiens ? À Whitehorse, les locaux ne partagent pas leurs sentiments sur le sujet avec moi. Pourtant il est évident que la situation est tragique. La rubrique des faits divers du journal du coin, ne saurait mentir : alcoolisme, usages de stupéfiants, violences diverses, arrestations… Elle reflète la condition actuelle de nombre de ces premiers habitants, culturellement étouffés par leurs envahisseurs, incapables de s’adapter à un mode de vie imposé qui les maintient dans un état de dépendance, affaiblis par une nourriture et des boissons qui ne conviennent pas à leurs organismes. Un ensemble de situations de nature à aviver les tensions et les rancœurs entre les communautés…

Toute l’Amérique du Nord est confrontée avec cette dure réalité mais ici, parce que les autochtones sont nombreux, la chose est encore plus évidente. Je suis en première ligne, témoin de la déchéance des descendants de ces tribus qui ont occupé des étendues immenses, trouvant les ressources nécessaires à leur survie et leur prospérité, développant des cultures riches et variées comme l’on peut en acquérir la certitude en visitant la partie du Musée de Washington DC, le Smithonian Institute ou celle du Musée McCord à Montréal, consacrées aux Premières Nations.

Omniprésents le jour dans les rues de la ville, des Amérindiens de tout âges mendient. Certains ne rentrent même pas dans leur réserve voisine et continuent la nuit à errer, dans des états seconds. Je voudrais bien croire que la situation est meilleure dans la réserve (quelle terrible et dégradante appellation), qu’il y a des indiens sobres et épanouis. Ce que j’apprends ici et là ne m’en convainc pas vraiment. La sagesse de leurs ancêtres qui me remplissait d’admiration et de respect, n’est plus qu’un lointain souvenir. J’éprouve de la peine à mesurer la distance qui sépare les indiens actuels de leurs aïeux.

Sur ces terres difficiles d’accès et donc difficiles à exploiter, le fleuve est le lien vital. Le Yukon qui a donné son nom à la Province, a permis à des milliers de trappeurs et d’aventuriers de tracer leurs routes vers le Nord, à la recherche de pépites ou de bêtes à fourrures. Avant d’être domestiqué par des aménagements et le barrage hydro-électrique, le fleuve fut plus dangereux qu’il ne l’est aujourd’hui. Des « steamers » à roues (parfois construits sur place) faisaient des va-et-vient incessants, apportant matériaux, denrées alimentaires et produits nécessaires pour les pionniers et tout un petit peuple de commerçants qui eux aussi avaient trouvé le bon… filon. Les mines d’or et de minerais ne font plus rêver et les veines aurifères, dont certaines continuent à être exploiter, sont maintenant aux mains de puissants consortiums.

- photo McBride Museum, Yukon Archives -


Une autre ressource apporte un peu d’argent frais pendant une courte partie de l’année : les touristes. Ils viennent essentiellement du Canada et des Etats-Unis. J’ai aussi rencontré des Allemands, des Français, des Japonais. Une fois faite la visite au Musée MacBride, aperçu le bateau à aubes, le S.S. Klondike, et vérifié l’existence de quelques « Log Skyscrapers » rescapés (maisons en rondins de bois de plusieurs étages), ils partent plus loin. Ceux que je croise au camping, sont le plus souvent des cyclotouristes et des « bikers » qui font ici une courte halte. Les autres campeurs sont des travailleurs saisonniers qui travaillent dans les restaurants et les hôtels. Ils comptent leurs sous et économisent sur le prix des chambres.

J’allais oublier l'échelle à saumons. Construite en bois, elle est annoncée comme étant la plus longue au monde : 366 mètres de long pour 15 de haut. En amont de la ville, le barrage hydroélectrique construit en 1958, empêchait les saumons de remonter jusqu’à leurs lieux de reproduction, point final d'un périple de plus de 3 000 km. Pour ne pas voir cette ressource disparaître, les autorités ont donc construit, une sorte d’écluse ou d’échelle qui permet maintenant à ces poissons de passer l’obstacle sans trop d'encombres. Certains de ceux qui arrivent, plusieurs fois dans leur vie à survivre au trajet, dépassent les 40 kg…

Une fois fait le tour et le détour de la capitale administrative du Yukon, je cherche un petit boulot. Après quelques tentatives, je me fais embaucher comme remplaçant, à la plonge d’un restaurant. Il parait que c’est le plus grand sinon le meilleur. Au menu, saumon et caribou, probablement d’élevage… Une première pour moi mais il n’y a pas de sot métier, n’est-ce pas et il faut bien que quelqu’un lave les assiettes des clients et gratte les casseroles du chef !

Ma première nuit de travail me met les mains dans un état épouvantable ; heureusement l’équipe est particulièrement sympathique. Ma faculté de plonger… en apnée dans la mer Méditerranée me permet de tenir une semaine. Suffisamment renfloué, je me dis que je ne suis pas là pour passer une qualification de plongeur et je m’apprête à redescendre vers le sud où l’on m’a parlé de possibilités de trouver du travail dans la région chaude et fertile de l’Okanagan, au sud de la Colombie Britannique, 2 500 km plus bas, pour la cueillette des pommes et des poires et des… scoubidous. En effet, il fait de plus en plus froid, les touristes désertent l’endroit, les hôtels et même le camping, se vident. Pour aller plus au nord tout seul, il me faudrait être motorisé, ce qui ne m’emballe pas, d’autant que je ne veux pas prendre le risque de voyager seul, et les expéditions organisées sont hors de prix. D’autre par, les séjours dans les parcs provinciaux ou nationaux sont chers et pleins de contraintes. Dans la région, il est obligatoire par exemple de posséder ou de louer des containers spéciaux pour mettre ses affaires hors de portée des… ours. Mes projets de grandes randonnées au Yukon n’ont donc pas aboutis. 

- photos © Romain Dartigues -

Lumière du matin sur un lac, proche de Whitehorse Brume matinale sur le fleuve Yukon, près de Whitehorse


C’est à ce moment là que je retrouve deux Français rencontrés au camping. Ils m’avaient parlé d’une descente du fleuve, de Whitehorse jusqu’à Dawson city, soit environ 700 km en canot. L’un des deux est guide et s’est engagé à rapporter à son sponsor des images de l’expédition. Le projet est plus compliqué qu’il en a l’air et devrait prendre deux semaines. Il durera en fait vingt-trois jours… Une partie du voyage doit être fait sur un radeau en bois, à construire, qui tiendrait aussi lieu d’habitation. Ils ont besoin de quelqu’un pour tenir la caméra vidéo et faire des photos. Celui qui devait s’en charger n’ayant pu les rejoindre, je propose mes services.

  • prochaine séquence : l’équipe se renforce d’une parisienne et d’une néo-zélandaise ; la construction abracadabrantesque du radeau ; le Lac Laberge…

D’après le récit de Romain Dartigues.