Les plages privées réduites à 20%

du domaine maritime.

Si le compte est bon, cela laisserait accessible au public 80% du littoral. On ne peut reprocher au législateur de prendre ce genre de mesure. En donnant aux communes le temps de s'adapter lorsque cela est nécessaire. Les plagistes niçois annoncent que la stricte application de la loi ferait perdre aux 15 concessions, 20% de leur surface et un manque à gagner quantifiable.

A Cannes, le président des plagistes, Gérard Grisetti, se réjouit, rien ne devrait changer car la municipalité aurait anticipé les conséquences de cette mesure. Son maire, Bernard Brochand, membre de la commission parlementaire du littoral, aurait défendu les spécificités des plages du Sud-Est. Ainsi la ville de Cannes a obtenu pour ses plagistes l'autorisation de travailler 11 mois sur 12, alors que la loi ne permet l'ouverture des plages privées qu'un maximum de 8 mois par an dans les stations balnéaires. Elle prévoit aussi le démontage des installations en fin de saison mais, il faut le reconnaître, ce ne serait guère réaliste pour des professionnels travaillant 11 mois sur 12…

On est loin de la situation qui existait dans les années cinquante. Calquée sur la saison estivale qui ne démarrait au mieux à Pâques, plus généralement pour le Festival du Film en mai, l'activité des plagistes se terminait au plus tard fin septembre. Leurs installations étaient entièrement démontées, pontons y compris et entreposées à Vallauris ou à la Bocca. La plage retrouvait son aspect initial pour de longs mois.

Visionnaire, Bernard Cornut Gentille, le maire de l'époque, bouleversa l'ordre des choses. L'industrie touristique était en train de prendre son irrésistible élan. Il eut alors l'idée géniale de dédoubler la Croisette et d'engraisser les plages de façon considérable. Il avait même prévu d'inclure dans la nouvelle promenade, caché dans l'encorbellement, un espace pour les plagistes, leur offrant la possibilité d'y installer vestiaire, douches et sanitaires et une petite cuisine… Les pittoresques cabines de déshabillage disparurent alors du paysage. Cette normalisation donna l'opportunité pour les plagistes de se tourner vers la restauration. Car, pendant longtemps, il fut interdit de proposer au client autre chose que des sandwiches, des pans bagnat et des salades niçoises…

Tous ceux qui se promènent sur la Croisette, savent que ce temps est révolu. Certaines plages sont devenues davantage des restaurants une, deux ou trois étoiles, des lounges, des bars que des marchands de sable et de soleil…Cette évolution ne se fit pas sans douleur. Les restaurateurs du centre ville la vécurent comme une concurrence déloyale et, ce n'est qu'assez récemment, qu'ils abandonnèrent l'espoir de voir modifier ce qui était devenu un fait accompli. Les plagistes qui n'ouvraient leur restaurant qu'à midi, se prirent au jeu et bénéficièrent de dérogations pour ouvrir le soir lors de manifestations, feu d'artifices, festivals, congrès, soirées privées…

Certains nostalgiques se demandent parfois où est passé le sable, caché par des planchers, de plus en plus construits en dur, par de volumineuses tentes qui se déploient des mois durant. Des tonnes de sable, amené fort onéreusement chaque année pour ré-engraisser la plage, tout ça pour ça, on s'en étonne parfois. Certains touristes aussi sont surpris que, si près de la mer, on n'y sente moins le varech ou l'iode que les odeurs de frites et de soupe de poissons…Ce sont des grincheux qui ignorent tout de la sacro-sainte la raison économique…

Plusieurs manifestations, ici et là, ont été organisées par des plagistes inquiets de cette nouvelle loi qui menace leur développement et pour certains leurs acquis. Elle ne s'appliquera qu'en fin de concession, c'est à dire dans 11 ans pour les plagistes cannois mais dans 2 pour les Niçois. On notera que les décrets d'application ne sont pas sortis, sortiront-ils d'ailleurs, alors que se dessine à l'horizon, une série quasi ininterrompue d'importantes élections ? Le corporatisme est une tradition bien ancrée chez nous, ailleurs on parle de lobbying…