Colonisation : la France n'est plus sûre de rien

Prisonnière d'une mémoire qui n'est pas encore entrée dans l'Histoire.

Catégorie Les paradoxales

Ceux qui sont à l'origine du projet de loi réclamant « la reconnaissance de la nation française aux femmes et aux hommes qui ont participé à l’œuvre accomplie par la France dans les anciens départements d'Algérie, au Maroc et en Tunisie, ainsi que dans les territoires placés antérieurement sous la souveraineté française », devaient se douter des réactions qu'ils allaient déclencher. Elles furent rapides et passionnées.

Ce projet de loi eut, entre autres conséquences, celle de nous forcer à regarder dans le miroir déformant de la mémoire, propre aussi bien que collective. Histoire trop récente - les réactions exacerbées qu'elles provoquèrent le prouvent - trop dérangeante aussi, pour être banalement chapitrée dans le grand livre de l'Histoire.

Alors que les médias et les politiques français de tous bords montaient instantanément au créneau - c'était à qui parlerait le plus fort - le journal indépendant algérien El Watan, constatait qu'il avait fallu trois mois pour que les médias locaux et le pouvoir politique s'agitent à leur tour. Le temps de la réflexion ?

Pour de nombreux métropolitains de plus de 50 ans qui ont vécu l'arrivée des pieds-noirs dans le Sud de la France, la mémoire revient. Ils les ont vu débarquer, dès la fin des années 50, souvent une simple valise pour tout bagage, sans repères, sans famille pour les accueillir. Leurs enfants sont venus s'asseoir à nos côtés sur les mêmes bancs de l'école communale ou du Lycée et la vie a bien dû continuer. Pour les harkis, s'ajoutât le choc des cultures, de la religion et d'un accueil qui fut des plus frileux, il faut bien l'avouer. Pour les uns et pour les autres se fut une sombre période durant laquelle chacun pleura ses morts et un pays auquel ils étaient terriblement attachés. Qui n'a pas était ému aux larmes par les chansons d'Enrico Macias, qui n'a pas pleuré de rire avec la famille Hernandez et plus récemment avec le regretté Elie Kakou, né lui en Tunisie ?

Le temps a passé et l'oubli n'est pas venu. Les pieds-noirs sont toujours fiers de leurs racines et continuent à transmettre à leurs enfants le souvenir d'un passé dont ils ne rougissent pas. Mais la paix des cœurs est longue à venir. L'année dernière, le scandale des tombes laissées à l'abandon a ravivé la douleur du souvenir. Les réactions d'une partie de la France, à propos du projet de loi cité plus haut, n'a rien fait pour apaiser les esprits. Car, s'il y a bien une France qui se rappelle parce qu'elle a vécu les évènements, il y en a une autre frappée d'amnésie qui ne veut pas réouvrir le dossier "Je vous ai compris !", une autre encore qui, par un réflexe judéo-chrétien, bat encore sa coulpe et les autres qui n'étaient pas encore nés et pas franchement intéressé par le problème.

Ainsi, les frustrations et les rancœurs se manifestent à nouveau dans l'esprit de certains pieds-noirs, de leurs enfants et d'autres français aussi qui s'étonnent de la situation actuelle. Quel paradoxe en effet de voir ces africains du Nord - qui ont tout à fait le droit d'être fiers d'avoir gagner leur indépendance - réclamer à grands cris, comme lors de la visite de Chirac en Algérie, "des visas, des visas !". De voir des centaines de milliers d'entre eux venir chercher chez nous de meilleures conditions de vie. On ne refait pas l'histoire certes, mais n'auraient-ils pas pu trouver sur place ce qu'ils viennent maintenant chercher ici, si l'Algérie était restée française ?

Quel paradoxe encore de voir ces africains du Nord qui ont gagné leur indépendance dans le sang et souvent dans la haine du colonisateur, venir dans ce même pays quérir une solution à leurs problèmes. Or, la France, avec un taux de chômage de 10 %, soumise aux règles d'une impitoyable mondialisation des marchés, a de moins en moins à offrir, sinon pour l'instant un des plus généreux système social qui existe. Mais à ce rythme là, pendant combien de temps encore pourra-t-elle accueillir "toute la misère du monde?"

à lire l'article : la mémoire des rapatriés…

- mention : www.pariscotedazur.fr - mars 2006 -